La Vie de Mahomet

(Alphonse de Lamartine, 1854)

Livre 1 - Chapitre 101

Mahomet sentait désormais végéter et fructifier par toute l’Arabie la vérité de l’unité, de l’immatérialité de Dieu qu’il avait semée avec sa parole ; partout les idoles faisaient place au Dieu unique, il sentait que sa mission était accomplie et que le temps ferait le reste. Des symptômes d’affaiblissement dans ses forces lui annonçaient la fin de sa carrière. Il voulut faire, avant de mourir, un pèlerinage d’adieu à la Mecque. Suivi de tous les chefs de ses armées et d’un peuple innombrable, il y parla pour la dernière fois aux Arabes rassemblés autour de leur pontife sur la colline de Sâfa. Monté sur son chameau pour être vu de plus loin par la multitude qui couvrait les flancs de la colline, il parla du haut de cette chaire, tribune appropriée à l’oracle du désert. Comme sa voix, quoique toujours grave et sonore, était affaiblie par ses longues prédications, des disciples, choisis au retentissement de leurs voix, étaient échelonnés de distance en distance pour se redire les uns aux autres les paroles proférées par le prophète et pour les répéter à ces milliers de croyants en les répercutant jusqu’aux extrémités de cet immense auditoire. La tradition a conservé textuellement ce dernier discours du prophète de l’Arabie . «Ô hommes ! dit Mahomet, retenez mes paroles, car je ne sais si l’année qui va naître me reverra encore dans ce lieu sacré au milieu de vous «Soyez cléments et équitables entre vous «Que la vie et les biens de chacun soient sacrés pour tous, comme ce mois et ce jour sont sacrés pour tous les croyants « Sachez que vous comparaîtrez tous devant le Seigneur, et qu’il vous demandera compte de vos actions « Que tout homme qui a reçu un dépôt le restitue fidèlement quand on le lui redemandera « Que celui qui prête à son frère ne demande point de salaire de son argent ! le débiteur ne rendra que le capital reçu!

«L’intérêt des sommes prêtées est supprimé à commencer par l’intérêt des sommes dues à ma famille «On ne poursuivra plus la vengeance des meurtres, à commencer par celui de mon cousin Rabia fils de Harith fils d’Abdelmotaleb ! Il y aura douze mois dans l’année ; quatre de ces mois seront spécialement sacrés «Ô hommes ! vous avez des droits sur vos épouses, et elles ont également des droits sur vous ! Leur devoir est de ne point déshonorer votre maison par l’adultère ; si elles y manquent, Dieu vous permet de vous éloigner d’elles et de les châtier, mais non pas jusqu’à la mort. Vous devez les traiter avec indulgence et avec tendresse ! Souvenez-vous qu’elles sont dans vos maisons comme des captives qui sont soumises à un maître, et qui n’ont rien réservé à elles ! Elles vous ont livré leur corps et leur âme sous la foi de Dieu ! Elles sont un dépôt sacré que Dieu vous a confié « O hommes! écoutez encore mes paroles et gravez-les bien dans vos esprits! Je vous laisse une loi qui, si vous y restez fermement attachés, vous préservera à jamais de l’idolâtrie, de l’impiété et de l’erreur; une loi lumineuse, intelligible à tous, formelle ; un Coran inspiré’ par la ciel! Ô hommes ! écoutez mes paroles et gravez-les dans vos esprits. Sachez que tous les musulmans sont frères ! Nul ne doit s’approprier ce qui appartient à son frère, à moins qu’il ne le reçoive de lui, de son plein gré ! Gardez-vous de l’injustice, elle entraînerait votre perte éternelle Prenant ensuite tout ce peuple à témoin des grands changements qu’il avait opérés dans leur foi et dans leurs moeurs en détruisant le culte des idoles : « Ô mon Dieu s’écria-t-il comme un homme qui interroge avec confiance son juge ; ô mon Dieu ! ai-je bien rempli ma mission ? - Oui, prophète, tu l’as bien remplie, répondirent des milliers de voix dans le peuple.

- Ô mon Dieu ! reprit avec plus d’assurance le prophète, entends, en ma faveur, ce témoignage de tes créatures Il descendit de son chameau, fit la prière et s’écria en se relevant «Aujourd’hui, ô croyants ! j’ai terminé l’ouvre de votre foi religieuse ; ce que j’avais à vous donner est donné; l’islamisme est la foi que Dieu et son prophète attendent de vous.» Un barbier lui rasa la tête, et ses cheveux furent partagés entre ses disciples. Il rentra à Médine comme un homme qui n’a plus qu’à se décharger du poids de son oeuvre. Il y distribua ses conquêtes morales entre tous ses compagnons de foi. Il semblait se hâter de régler après lui l’empire des âmes qu’il allait laisser à la merci de Dieu. Il ne désigna pas son successeur au gouvernement et à la prédication, ne voulant pas, dit-il, empiéter sur le choix que Dieu inspirerait au peuple.
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