La Vie de Mahomet

(Alphonse de Lamartine, 1854)

Livre 1 - Chapitre 104

Il pria alors à haute voix pour tous ses compagnons morts avant lui dans la lutte ou dans le martyr pour l’unité de Dieu. Faisant un retour sur lui-même et sur sa fin prochaine et prématurée : Dieu, dit-il, a donné à son serviteur le choix entre le monde et le ciel, et le serviteur a choisi le ciel ! - Est- il donc vrai. S’écria en pleurant Aboubekre. Que pouvons- nous racheter nos jours par les nôtres ! » Trop affaibli pour continuer la prédication quotidienne et la prière au peuple, il chargea Aboubekre de remplir à sa place les fonctions du sacerdoce et du gouvernement. La fièvre le dévorait de plus en plus pendant trois jours, et lui donnait des songes et des délires. Pour rafraîchir son visage brûlant, il trempait ses mains dans un vase d’eau froide et les égouttait sur son front. Il continuait cependant, pendant les heures lucides, à s’entretenir des choses surnaturelles avec ses disciples. La préservation de sa doctrine l’inquiétait par- dessus toutes choses. Il ne voulait pas que son peuple glissât jamais dans l’idolâtrie. Il ne croyait jamais avoir assez prévenu les hommes contre la déification de leurs sens. «Apportez-moi encore de l’encre et des feuilles de palmier, leur dit-il un jour, je veux vous écrire un livre qui vous garantira à jamais de ces fictions ! - Le maître est en délire, se dirent entre eux les disciples ; n’avons-nous pas le Coran ? ». Le troisième jour, se sentant plus calme, il voulut aller encore une fois entendre la prière du matin qu’Aboubekre disait à sa place, à la mosquée. Il permit ensuite à Aboubekre de s’absenter pour aller vers la nouvelle femme qu’il avait épousée à Médine, et qui demeurait dans un jardin de dattiers du faubourg. En rentrant dans sa demeure, il se coucha sur son tapis, et demeura immobile, silencieux et comme assoupi plusieurs heures. Sa tête reposait sur les genoux d’Aïché, qui veillait de l’oeil et de l’oreille sur le départ de son âme. Tout à coup il ouvrit les yeux et balbutia quelques mots sans suite parmi lesquels Aïché ne distingua que cette invocation : «O mon Dieu ! ... Oui, là-haut !... Avec l’ange inspirateur ... L’ami céleste ! ... Aïché, à ces mots, sentit sa tête plus pesante s’affaisser sur ses mains. Elle regarda le souffle avait fui de ses lèvres, et la lumière de ses yeux. Elle déposa la tête du prophète sur le coussin, lui jeta un voile sur la figure, se déchira le visage et appela les autres femmes pour commencer les lamentations autour du mort’. Le peuple, averti par les sanglots qui sortaient de la maison, accourut, en se refusant de croire à sa mort. «Non, leur dit Omar, il n’est point mort, il est allé visiter Dieu, comme Moïse, qui revint, quarante jours après sa disparition, se montrer vivant à son peuple ». Aboubekre accourut à la fatale nouvelle de son maître expiré. Il souleva, en pleurant, le manteau qui couvrait ce visage, baisa les jambes froides et s’écria: Ô toi qui m’étais plus cher que mon père et ma mère, tu as donc goûté la mort destinée à tous les mortels ! » Puis, se tournant vers la foule incrédule : « Musulmans, dit-il, si c’était Mahomet que vous adoriez, apprenez que Mahomet est mort ! Mais si c’est Dieu que vous adorez, sachez que Dieu est vivant et qu’il ne meurt pas! Oubliez-vous donc déjà ce verset du Coran, où le prophète dit de lui-même : Mahomet n’est qu’un homme chargé d’une mission de vérité pour la terre ; avant lui 0/it vécu d’autres hommes chargés aussi de messages célestes ! Tu mourras, Mahomet, et eux aussi ils mourront ! ». Aboubekre fut élu le jour même, dans l’assemblée des croyants, pour succéder à Mahomet. Malgré quelques rivalités d’Omar et d’Ali, un esprit de concorde donna l’unanimité à ce choix. Omar et Ah le ratifièrent les premiers devant le peuple’. «Je ne suis pas le meilleur d’entre vous, dit modestement Aboubekre en montant dans la chaire vide du prophète ! Si j’agis bien, secondez-moi ; si je m’égare, redressez-moi ; si je commande quelque chose contre la loi de Dieu et contre le sens de son prophète, désobéissez-moi ! Le Coran règne.
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