La Vie de Mahomet

(Alphonse de Lamartine, 1854)

Livre 1 - Chapitre 53

Cependant ces dissensions affaiblissaient les Coraïtes devant les autres tribus. On négociait entre les deux partis pour la rentrée des exilés dans la ville. Un hasard favorisa la négociation. La feuille de palmier sur laquelle les ligueurs avaient écrit l’acte de la ligue’ était affichée depuis trois ans contre le mur de la Kaaba. Les vers en avaient rongé le texte et les signatures, en ne respectant que l’invocation du nom d’Allah qui était au sommet de la feuille. Ce miracle parut dégager les signataires de leur serment. Le vieux Aboutaleb, respecté de tous, vint traiter lui-même les conditions de son retour et du retour de sa famille dans la ville. Mahomet rentra avec les siens. Mais, peu de temps après, Aboutaleb, son oncle et son protecteur, mourut de vieillesse sans avoir ni condamné ni embrassé la foi de son neveu . Mahomet le pleura comme un fils. Mais bientôt la mort de la compagne de sa foi, de son bonheur et de ses tribulations, lui coûta des larmes plus amères. Son épouse unique et chérie, Kadidjé, mourut- dans sa foi et dans son amour pour le prophète. La tristesse et le découragement s’emparèrent, une seconde fois, de Mahomet. Son appui terrestre dans Aboutaleb, et son appui moral dans Kadidjé, lui manquaient à la fois. Il sortit seul de sa maison et s’en alla à Taïef, capitale d’une peuplade voisine, espérant y trouver des cours mieux préparés à ses doctrines. Les grands de la ville s’assemblèrent pour l’entendre. Mais à peine avait-il ouvert les lèvres pour leur expliquer sa religion, que les rires et les sarcasmes éclatèrent contre l’inspiré de la Mecque : « Dieu n’avait-il pas d’autre apôtre que toi à nous députer? » lui dirent-ils avec mépris. Un des auditeurs, plus lettré que ses compatriotes, le confondit par un dilemme qui rendit le prophète muet. «Je ne veux pas discuter avec toi, lui dit cet homme à la langue adroite: si tu es un inspiré, comme tu l’affirmes, tu es trop saint et trop grand pour que j’ose te répondre ; situ n’es qu’un imposteur, tu es trop vil pour que je m’abaisse à te parler. Cette réponse parut victorieuse à la populace de Taïef. Elle chassa Mahomet à coups de pierre, hors de la ville. Les esclaves et les enfants le poursuivirent ainsi jusque dans la campagne. Il était obligé, quand la fatigue l’arrêtait, de s’accroupir et d’envelopper sa tête et ses jambes de son manteau pour amortir le coup des pierres qui pleuvaient sur lui. A la fin, une famille compatissante lui ouvrit un enclos pour s’abriter derrière des vignes, et lui permit de manger des raisins pour se désaltérer jusqu’à l’heure des ténèbres, où il reprit sa route vers la Mecque. Il n’osa pas non plus y rentrer avant d’avoir imploré un protecteur pour sa vie, Il attendit longtemps sur le mont Hira la réponse refusée par tous. On ne peut mesurer le poids de douleurs que coûte à celui qui la porte, pour ainsi dire malgré lui, toute idée vraie à transmettre aux hommes ! Des gouttes de sueur, des gouttes de larmes et des gouttes de sang marquent la trace du missionnaire de l’unité de Dieu sur ce sable de l’Arabie comme sur toute la terre. Dieu ne veut évidemment pas que sa vérité soit un don gratuit, il veut que ce soit aussi une conquête, et c’est là la gloire de la vérité et le mérite de l’homme.
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