La Vie de Mahomet

(Alphonse de Lamartine, 1854)

Livre 2 - Chapitre 3

Aboubekre soumit le reste par ses lieutenants. Khaled, un des plus braves, parcourut l’Arabie en frappant et en pardonnant tour à tour . Un des chefs révoltés, nommé Malik, mari d’une des plus belles femmes du désert, que Khaled avait jadis aimée, se soumit et demanda son pardon. «Tirez vos sabres du fourreau, dit Khaled à ses cavaliers.» La femme de Malik, nommée Leïla, se jeta aux pieds du vainqueur, le visage découvert et les cheveux épars, pour implorer la vie de son mari. « Ah ! s’écria l’infortuné Malik, en voyant sa femme découvrir ainsi ses charmes, voilà la véritable cause de ma mort - La cause de ta mort répartit Khaled, c’est ton abjuration de la foi du prophète ; c’est la main de Dieu qui te frappe, ce n’est pas la mienne » Et la tête du mari roula aux pieds de la femme. Le lendemain, il démentit ces paroles en épousant Lella, veuve, de sa victime. L’armée poussa un cri d’indignation, plusieurs désertèrent et allèrent l’accuser à Médine. «Il a massacré des prisonniers, et tué le mari pour épouser la veuve, répandirent-ils autour du khalife. » Omar le conjura de punir le coupable. «Non, dit Aboubekre ; je réparerai les maux qu’il a causés, mais je ne remettrai pas dans le fourreau le glaive que Dieu a tiré lui-même contre les infidèles ».

cavaliers. Les fugitifs inventèrent une ruse qui les préserva des sabres des musulmans. Ils gonflèrent de vent des outres de cuir et les laissèrent traîner derrière eux retenus par de longues cordes. L’aspect insolite et les bonds retentissants de ces ballons faisaient cabrer les chevaux et effrayaient les chameaux de l’armée d’Aboubekre. Les animaux, épouvantés, emportèrent les cavaliers et les chameliers vers Médine. Mais plusieurs autres victoires remportées par Aboubekre rétablirent le prestige du khalife. L’armée d’Ouçarna, triomphante aussi, rentra à Médine, doubla ses forces et soumit tout autour de lui dans le Nedjed. Mais, pendant qu’il triomphait ainsi dans le fond de l’Arabie, une femme arabe de la Mésopotamie, nommée Théjiah, se déclarait saisie de l’esprit prophétique, et, soumettant les Arabes de la Syrie à ses inspirations, marchait à la tête d’une armée fanatisée par son éloquence et par sa beauté contre l’Yémen. Mosseïlamah, qui s’était aussi érigé en prophète, tremblant de voir sa province submergée par cette invasion, s’enferma dans la ville d’Hedjer. Il envoya de là des présents à la prophétesse et lui demanda une conférence pour traiter de la paix. On dressa pour cette entrevue une tente magnifique entre la ville et le camp. Le général rebelle et la jeune guerrière s’y entretinrent sans témoins pendant une partie du jour. Un mariage scella la paix. Théjiah adopta la foi de son mari et ramena en Syrie ses troupes chargées de dépouilles. Son mariage avec Mosseïlamah n’altéra ni le prestige ni Bientôt Khaled rentra vainqueur dans Médine pour venir se disculper auprès du khalife. Sa tunique était noircie par la rouille de sa cuirasse et de ses armes, son turban, hérissé des flèches qui l’avaient atteint dans les combats. Des groupes de musulmans, indignés de sa cruauté, l’attendaient aux portes de la ville. Omar, en l’apercevant, ne put retenir sa colère ; il porta la main sur le turban de Khaled, et arracha avec mépris les flèches, et les brisa sur son genou. « Te voilà donc, toi qui as tué un musulman pour jouir de sa femme ! lui cria-t-il ; va! il ne dépendra pas de moi que tu ne sois lapidé pour avoir déshonoré la foi du prophète ! » On voit combien la prétendue férocité d’Omar est un préjugé historique démenti par ses actes et par ses paroles à Médine. Khaled ne répondit rien jusqu’à ce qu’il eût reçu sa condamnation ou son absolution de la bouche du khalife. En sortant de l’entretien, absous par Aboubekre, il s’avança avec défi vers Omar. «Fils d’Oumm- Schamlà, lui dit-il, as-tu maintenant quelque querelle à vider avec moi ? » Omar garda le silence à son tour, n’osant punir ce que le khalife avait pardonné ; mais il resta toujours l’accusateur de l’inhumanité de Khaled.
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