La Vie de Mahomet

(Alphonse de Lamartine, 1854)

Livre 1 - Chapitre 90

Avant de retourner à Médine, Mahomet dispersa la plus grande partie de son année dans l’Arabie Pétrée, pour imposer par l’exemple de la Mecque, et par l’appareil de la force, la soumission à toutes les tribus. Ses lieutenants avaient ordre de se présenter moins en conquérants qu’en alliés; il leur était défendu de verser le sang. L’un d’eux, Khaled, transgressa cet ordre et massacra une tribu qui venait prononcer l’acte de foi au Dieu unique ! En apprenant ce massacre, Mahomet indigné leva ses bras au ciel et s’écria : « Mon Dieu, je suis innocent du crime de Khaled ! » Dans sa marche vers Médine, il fut attaqué, cependant, à la sortie du défilé d’Arafat par une coalition de guerriers des tribus infidèles, commandée par un vieillard aveugle, âgé de plus de cent ans. Son bras ne pouvait plus manier le sabre; mais sa vieille expérience en faisait toujours l’oracle du désert. II passait les revues de ses rassemblements, non à la vue, mais au bruit de leurs hordes, qu’il reconnaissait sans qu’on eût besoin de les lui nommer. « Nous sommes à telle place, disait-il, c’est un bon champ de bataille pour la cavalerie, le sol n’est ni rocailleux ni mouvant - J’entends bêler les brebis de telle tribu ; - j’entends braire les ânes de telle autre ; - j’entends les pas des chameaux de celle-ci, - j’entends le sabot des coursiers de celle-là; -j’entends pleurer les enfants et chuchoter les femmes derrière les guerriers. » Cette multitude, débouchant tout à coup des gorges des montagnes qui cachaient leurs escadrons, refoula et dispersa les musulmans jusque autour de Mahomet lui-même ; il faillit périr dans son triomphe. Lançant sa mule blanche Doldol à toute course et s’arrêtant sur une éminence, il parvint avec peine à rallier ses soldats épouvantés. «À moi ! criait-il d’une voix tonnante, à moi ceux qui ont prêté serment de mourir sous l’acacia » Ce souvenir sacré arrêta les faibles et raffermit les braves. Le combat tourna contre les infidèles. Mahomet, s’élevant sur ses étriers pour dominer de l’oeil la mêlée, battit des mains de joie et s’écria : « Enfin voilà le feu rallumé dans la fournaise ! »

Ali coupe les jarrets du chameau qui portait le scheik centenaire, le drapeau roule avec l’animal et le cavalier dans la poussière, la victoire est aux musulmans. A cette chute du drapeau, Mahomet s’exalte «Couche-toi, Doldol, dit-il à la mule intelligente. » La mule s’agenouille, le prophète ramasse une poignée de poussière et la lance au loin en malédiction contre les infidèles.
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