La Vie de Mahomet

(Alphonse de Lamartine, 1854)

Livre 1 - Chapitre 49

Ces réponses, si sages et si conformes à ce que les oracles avaient confié secrètement aux députés, accréditèrent la science du prophète. Les chefs Coraïtes virent que le seul moyen d’étouffer sa voix était de la laisser perdre dans le vide. Ils se retirèrent de lui, et ordonnèrent au peuple de se retirer quand il ouvrirait la bouche. Cette excommunication des grands, des prêtres et du peuple isola le prophète dans sa patrie. Il n’eut d’autre moyen de continuer sa prédication que le chuchotement qu’on ne pouvait surprendre sur ses lèvres. Quand il se rendait au temple pour prier, il priait à demi-voix, afin que les jeunes gens qui étaient les plus rapprochés de lui sur le parvis entendissent et retinssent ses prières. C’est ainsi qu’il leur enseignait comment il fallait adorer et servir le Dieu unique. Ce mystère ajouta le sel de la confidence dérobée à sa doctrine. Ses persécuteurs eux- mêmes ne résistèrent pas toujours à la curiosité. Trois des plus acharnés contre le prophète se rencontrèrent une nuit, sans s’être concertés, sur une terrasse voisine de la maison de Mahomet, d’où l’on pouvait l’entendre murmurer ses prières dans la cour. Ils se reconnurent et se reprochèrent mutuellement leur infraction à l’excommunication du mépris qu’ils avaient portée contre le prédicateur. Ils se séparèrent se jurant de ne jamais retomber dans cette faiblesse. Mais, la nuit suivante, chacun des trois, croyant tromper les autres, y revint en secret et s’accusa honteusement de parjure. Il en fut de même la troisième nuit. «Qu’as-tu ressenti en toi, en écoutant furtivement ses prières et ses professions de foi demandèrent-ils au plus sage d’entre eux. J’ai compris et admiré certaines paroles, répondit l’ennemi du prophète, les autres ont passé au-dessus de mon esprit. -C’est une honte pour nous, dirent-ils en s’en allant, de permettre qu’il sorte de la famille d’Aboutaleb un révélateur dont la gloire enorgueillira cette famille et la placera au-dessus de nous tous. Un des disciples’, pressé par le zèle du martyre, jura d’enfreindre seul les défenses de professer l’islamisme. Il s’avança hardiment sur la place et récita les premiers versets du Coran : « Dieu a créé l’homme. « Le soleil et la lune suivent la ligne tracée par son doigt. « Les plantes et les arbres l’adorent... On l’interrompit par des vociférations et par des huées on se précipita sur lui, on lacéra ses habits, on le frappa sur la bouche. Il revint déchiré et sanglant au groupe des fidèles. «J’ai été frappé, dit-il mais je les ai forcés d’entendre quelques lettres du libre inspiré. » La persécution suivit cette témérité du disciple. On étendait les néophytes du prophète sur le dos, le visage tourné vers le soleil brûlant du désert, avec un bloc de pierre sur la poitrine pour leur disputer la respiration. « Vous resterez-ainsi, leur disait-on, jusqu’à ce que vous reniiez l’imposteur qui vous persuade un autre Dieu que les dieux de nos pères. - El n’y a qu’un Dieu, » répondaient les victimes. Beaucoup moururent de cette torture sur la colline de Ramdhà. Mahomet, que sa haute naissance et la terreur du ressentiment de sa famille protégeaient seul contre ces supplices, passait auprès des suppliciés, leur adressait des encouragements et des consolations : « Courage ! leur criait- il, le paradis vous attend! »
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