La Vie de Mahomet

(Alphonse de Lamartine, 1854)

Livre 1 - Chapitre 52

Bientôt les conservateurs des vieilles idolâtries, indignés, signèrent une ligue offensive et défensive contre les familles infectées de la nouvelle foi, et surtout contre la famille d’Aboutaleb, qui était celle du prophète, ligue semblable de nom et d’esprit à celle des Guise, en France, contre les hérétiques et qui fut scellée par le sang de la Saint- Barthélemy. C’était la septième année depuis que Mahomet prêchait sa doctrine en Arabie. Les familles menacées ou proscrites pour sa foi se retirèrent avec Mahomet au milieu d’elles dans une vallée à quelque distance de la ville. Elles y campèrent trois ans sous leurs tentes avec leurs troupeaux Aboutaleb, l’oncle vénéré de Mahomet, bien qu’il n’eût pas fait profession de l’islamisme, était à leur tête. L’esprit de famille se substituait déjà à l’esprit de secte. La dissension, d’abord religieuse, devenait civile. Les tribus nomades du désert et quelques- uns de leurs alliés secrets dans la ville leur apportaient des vivres. Le fanatisme des sectateurs de Mahomet renouvelait cependant de temps en temps les contestations dans la Kaaba. Othman y écoutait un jour le poète Lebid, qui y lisait des poésies sacrées en l’honneur des dieux de l’Arabie. «Toute chose est néant, excepté la divinité,» lisait Lebid. «Cela est vrai» interrompit à haute voix Othman. Lebid poursuivit, et récita un autre vers qui disait : Et toutes les félicités sont passagères! «Cela est faux ! interrompit de nouveau Othman : la félicité du ciel es! éternelle. » Le poète se troubla de l’apostrophe. «N’y prends pas garde, lui dit un des auditeurs, cet homme est un idiot qui, à l’exemple d’autres idiots, a quitté la religion de ses pères !» Othman s’emporta contre l’insu heur. Une lutte éclata dans le temple. Un coup de poing creva un oeil d’Othman. Un Coraïte, plus humain que les autres, offrit à Othman de le prendre sous sa protection contre les outrages de ses agresseurs. « Je te remercie, lui répondit Othman, je ne veux de protecteur que dans le ciel, et puissé-je, pour la cause du Dieu unique, recevoir un coup semblable sur l’oeil qui me reste.
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