La Vie de Mahomet

(Alphonse de Lamartine, 1854)

Livre 1 - Chapitre 76

Mahomet, après la retraite des Coraïtes , redescendit dans la plaine pour pleurer et ensevelir les morts. En approchant du cadavre de son oncle Hamza, mutilé par Hind, la fureur le saisit. «Si je ne craignais pas, dit-il d’affliger Safyà, sa mère, je le laisserais là, en témoignage de l’impiété des idolâtres, jusqu’à ce que les entrailles des aigles fussent devenues son sépulcre; si Dieu m’accorde un jour la victoire sur les Coraïtes «ou Coréischites»,j’en mutilerai trente pour venger Hamza! » Il ne tarda pas à se repentir de ce mouvement tout humain de férocité et de vengeance. «Mais non, dit-il en se reprenant, s’il est permis aux musulmans de traiter leurs ennemis comme on les a traités eux-mêmes, il est plus méritoire de supporter sans représailles et avec magnanimité de tels outrages sans les imiter » Il défendit de profaner les morts. Il enveloppa de son manteau le corps d’Hamza, et fit lui- même ses funérailles. «Ô Hamza ! s’écria-t-il sur sa tombe, je n’ai jamais perdu un ami tel que toi » Les femmes de Médine, accourues pour pleurer leurs pères, leurs époux, leurs fils, voulaient emporter leurs corps pour les ensevelir à Médine «Non, dit-il, enterrez les morts où ils sont tombés, et sans laver le sang de leurs blessures. Ils paraîtront avec ce sang au jour de la résurrection, et leurs blessures exhaleront l’odeur des aromates ! Je porterai alors moi-même témoignage pour eux ! » Une de ces femmes rencontra l’armée vaincue qui rentrait à Médine : «Où est mon père ? demanda-t-elle aux soldats. - Il est tué, lui répondit-on. - Et mon mari ? - Tué aussi. - Et mon fils ? - Tué avec eux, lui dirent-ils, - Mais Mahomet ? - Le voici vivant, lui répondirent les guerriers. - Eh bien, dit- elle en apostrophant le prophète, puisque tu vis encore, tous nos malheurs ne sont rien »

Un tel fanatisme promettait Mahomet des représailles de sa défaite. Il parut sentir plus de tristesse que d’humiliation dans son revers. En passant devant une des maisons à Médine d’où l’on entendait sortir des lamentations des femmes déplorant la mort de leurs époux, «Et le brave Hamza, dit-i! en versant lui-même des larmes, il n’est point de femme qui le pleure ! »
Livre 1:
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30
31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47 48 49 50 51 52 53 54 55 56 57 58 59 60
61 62 63 64 65 66 67 68 69 70 71 72 73 74 75 76 77 78 79 80 81 82 83 84 85 86 87 88 89 90
91 92 93 94 95 96 97 98 99 100 101 102 103 104 105 106 107
Livre 2:
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20

Achetez le texte intégral avec les notes et commentaires d'Ali Kuhran (éditions L'Harmattan)