La Vie de Mahomet

(Alphonse de Lamartine, 1854)

Livre 2 - Chapitre 1

L’esprit de Mahomet sembla lui survivre sur la terre et éteindre après lui les rivalités qui devaient saper son oeuvre en divisant les compétiteurs à sa succession. Son âme les gouverna encore quelque temps après lui. La foi, le zèle, l’abnégation de toute prééminence personnelle étouffèrent l’ambition des imams. Ils immolèrent pieusement ce qu’il y avait d’humain dans leur cour à ce qui était vérité dans la mission du prophète l’abolition de l’idolâtrie, l’adoration du Dieu unique. A peine Aboubekre avait-il été nommé khalife, c’est-à-dire vicaire ou successeur du prophète de Dieu (kalfet resoul Allah) qu’il ordonna aux combattants arabes de Médine, rassemblés pour une expédition en Syrie, de marcher pour exécuter l’ordre posthume du prophète. Omar, qui avait été désigné par Mahomet pour marcher avec cette expédition, hésitait à obéir, dans la crainte que l’absence de Médine des meilleurs soldats de l’Islam pendant l’agitation causée en Arabic par la disparition du prophète ne compromît la ville, la religion et le gouvernement du khalife. Il représenta fortement ce danger à Aboubekre. Mais le khalife, indigné, le prenant par la barbe et lui reprochant son peu de foi dans les promesses du Révélateur «Non, dit-il, dût Médine succomber sous l’invasion des animaux féroces, je ne révoquerai pas un ordre donné par le prophète. II faut que sa volonté s’accomplisse après sa mort comme elle s’exécutait pendant sa vie. » L’armée partit sous les ordres du jeune Ouçama, nommé commandant de l’expédition par Mahomet, malgré son inexpérience. Aboubekre accompagna les troupes jusqu’à leur première halte, à cheval, à côté du jeune général, pour lui assurer le respect de l’armée. Au moment où il le quittait pour retourner à Médine «Je désirerais, lui dit-il avec déférence respectueuse, garder avec moi Omar pour me conseiller dans les périls ou Médine va se trouver pendant l’absence de ses meilleurs guerriers. Considère si tu peux me laisser Omar sans péril pour toi. » Ouçama s’empressa de dispenser Omar de faire la campagne. Aboubekre, alors, faisant ranger l’armée en cercle autour de lui « Guerriers de l’islam, dit-il, arrêtez-vous un instant et écoutez bien les préceptes que je vais vous promulguer pour les temps de guerre ! Combattez avec bravoure et loyauté ! N’usez jamais de ruse et de perfidie envers vos ennemis ; ne mutilez pas les vaincus; ne tuez ni les vieillards, ni les enfants, ni les femmes ; ne détruisez pas les palmiers, ne brûlez pas les moissons , ne coupez pas les arbres fruitiers, n’égorgez pas les animaux, si ce n’est ce qui sera nécessaire à votre nourriture. Vous trouverez sur votre route des hommes vivant dans la solitude et dans la méditation à l’adoration de Dieu, ne leur faites aucun mal ni aucune injure !» Il n’excepta de cette inviolabilité des faibles et des ermites chrétiens par la guerre que ceux qui fanatisaient les populations con la doctrine de l’unité de Dieu. Cet ordre du jour du chef réputé barbare d’une horde de Bédouins du désert contraste encore aujourd’hui par sa tolérance et son humanité avec les manifestes de guerre des généraux d’une religion plus fraternelle et d’une civilisation plus avancée.
Livre 1:
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