La Vie de Mahomet

(Alphonse de Lamartine, 1854)

Livre 2 - Chapitre 12

L’armée d’Omar, après la conquête de Damas, marcha sur la vallée du Jourdain. Une seconde bataille, livrée par eux à l’armée romaine de quatre-vingt mille combattants, sur les bords de l’Yermouk, leur ouvrit la Palestine. Le lac engloutit tout ce que le fer avait épargné. Les musulmans, libres d’ennemis, divisèrent leur armée en plusieurs colonnes pour aller de la Palestine au Taurus, et de la mer au désert, assujettir tout ce qu’ils avaient vaincu. Omar amnistia tous les Arabes qui, après la mort de Mahomet, avaient hésité dans sa foi. Cette amnistie et le bruit de ses triomphes ramenèrent des milliers de musulmans sous ses drapeaux, Amr, chef de ces révoltés, guerrier d’une taille colossale et d’un bras de fer, lui amena deux mille combattants. « Quelle solde demandes-tu, lui dit Omar en plaisantant, puisqu à toi seul tu vaux plusieurs hommes ? - Mille dirhems pour ceci, répondit Amr en frappant de sa main sur son flanc gauche ; mille pour ceci, ajouta-t-il en frappant sur son flanc droit ; et enfin mille pour cela, continua-t-il en frappant sur son cour. - C’est bien, dit Omar en souriant, je t’assigne trois mille dirhems ». Puis, le mesurant de la tête aux pieds et admirant sa taille gigantesque «Louange à Dieu, qui a créé Amr ! », s’écria le khalife. Il l’envoya rejoindre l’armée qui se formait au bord de l’Euphrate pour attaquer la Perse.

Des envoyés du roi de Perse vinrent au camp conférer avec les musulmans. « Quel motif, dirent les Persans, vous pousse à nous faire la guerre ? - Dieu nous a ordonné, répondirent les négociateurs arabes, par la bouche de son prophète, de porter l’islamisme chez tous les peuples ; nous obéissons à cet ordre. Devenez nos frères, en répudiant vos dieux matériels et en adorant le Créateur un et infini, ou soumettez-vous à nous payer un tribut pour nous aider à propager cette vérité dans le monde. «Qui êtes-vous ? nation indigente et disséminée comme de vils insectes sur le sable, pour prétendre imposer des lois à un empire comme le nôtre ? Ce que tu dis de notre indigence, de notre barbarie, de notre anarchie, de notre ignorance, était vrai hier, répondit un des orateurs musulmans. Oui, nous étions si misérables, que l’on voyait parmi nous des individus apaiser leur faim en mangeant des insectes et des serpents, quelques-uns faire mourir leurs filles pour ne pas partager leurs aliments avec elles. Plongés dans les ténèbres de la superstition et de l’idolâtrie, sans lois et sans frein, toujours ennemis les uns des autres, nous n’étions occupés qu’à nous piller, à nous détruire mutuellement. Voilà ce que nous avons été. Nous sommes maintenant un peuple nouveau. Dieu a suscité au milieu de nous un homme, le plus distingué des Arabes par la noblesse de sa naissance, par ses vertus, par son génie, et l’a choisi pour être son envoyé et son prophète. Par l’organe de cet homme, Dieu nous a dit : « Je suis le Dieu unique, éternel, créateur de l’univers. Ma bonté vous envoie un guide pour vous diriger. La voie qu’il vous montre vous sauvera des peines que je réserve dans une autre vie à l’impie et au criminel, et vous conduira près de moi dans le séjour de la félicité. » La persuasion s’est insinuée peu à peu dans nos cours ; nous avons cru à la mission du prophète ; nous avons reconnu que ses paroles étaient les paroles de Dieu, ses ordres les ordres dc Dieu, la religion qu’il nous annonçait, et qu’il nommait l’islamisme, la vraie religion. Il a éclairé nos esprits ; il a éteint nos haines, il nous a réunis en une société de frères sous des lois dictées par la sagesse divine. Puis il nous a dit «Achevez mon oeuvre, étendez partout l’empire de l’islamisme. La terre appartient à Dieu, il vous la donne. Les nations qui embrasseront votre foi seront assimilées à vous- mêmes; elles jouiront des mêmes avantages et seront soumises aux mêmes devoirs. À celle qui voudront conserver leurs croyances, imposez l’obligation de se déclarer vos sujettes et de vous payer un tribut en échange duquel vous les couvrirez de votre protection. Mais celles qui refuseront d’accepter l’islamisme ou la condition de tributaires, combattez-les jusqu’à ce que vous les ayez exterminées. Quelques-uns d’entre vous tomberont dans la lutte à ceux qui périront, le paradis ; aux survivants, la victoire. Telles sont les destinées de puissance et de gloire vers lesquelles nous marchons avec confiance. À présent tu nous connais ; c’est à toi de choisir : ou l’islamisme ou le tribut, ou la guerre à mort ».
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