La Vie de Mahomet

(Alphonse de Lamartine, 1854)

Livre 1 - Chapitre 57

Le mariage avec plusieurs femmes parmi les tribus arabes était aussi, il faut le reconnaître, autre chose qu’une brutale sensualité. C’était un lien de parenté, un gage d’alliance politique entre les familles principales d’une même ville ou d’une même tribu pour s’assurer par ces consanguinités l’amitié, la fraternité, l’appui des tentes ou des maisons où l’on prenait une femme. Les épouses étaient des otages que les familles se livraient réciproquement. Elles assuraient la paix, elles confirmaient la puissance des maisons où elles entraient. Dans un pays où il n’y avait aucune autorité centrale supérieure pour établir la fixité du pouvoir, ce pouvoir ou cette prédominance flottant sans cesse d’une maison à l’autre, et n’ayant d’autre titre que la possession, on ne pouvait le fonder ou le conserver que par l’adhésion dans les conseils du plus grand nombre de chefs de famille influents dans la ville ou dans la tribu. Ces mariages illimités étaient les moyens de s’acquérir ces adhésions et ces alliances. C’était ainsi qu’on élargissait la famille dominante ou qu’on cherchait à balancer son ascendant, en multipliant contre elle les relations de sang avec les maisons rivales. Une femme était un traité. C’est ce qui paraît avoir décidé Mahomet, autant peut-être que la volupté, dans le choix des épouses qu’il se donna après la perte de Kadidjé. C’était le moment où, pour soutenir sa doctrine proscrite, il avait besoin de se soutenir lui-même dans la Mecque par des alliances avec les familles de ses ennemis indécis, ou de ses disciples les plus affiliés. Cette conjecture se trouve vérifiée par l’âge des deux femmes qu’il épousa à la fin de cette année de veuvage. La première, Sauda, fille des Aboucays, maison illustrée par les poètes de ce nom, touchait à peine à l’âge nubile; la seconde, Aïché, fille d’Aboubekre, son disciple, si célèbre par sa beauté mâle et par son élégance martiale, n’était pas encore sortie de l’enfance.

Aïché n’avait que huit ans. Ce fut plus tard l’épouse favorite du prophète, déjà avancé en âge, mais toujours amoureux de son élève. Aïché, plutôt sa fille adoptive que sa femme, n’entra dans son cour d’époux que plusieurs années après. Mahomet paraît l’avoir aimée par-dessus toutes les femmes, autant pour l’élévation de son esprit et pour sa fidélité que pour ses charmes célébrés par toutes les traditions de l’Arabie.
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