La Vie de Mahomet

(Alphonse de Lamartine, 1854)

Livre 1 - Chapitre 94

L’apôtre nous oublie, murmuraient aussi les Médinois, il n’a de faveurs que pour ses compatriotes ingrats de la Mecque. » Instruit de ces murmures, Mahomet les rassembla. « Je connais vos reproches secrets, leur dit-il, quand je suis venu chez vous, il y a huit ans, vous étiez dans les ténèbres qui vous a éclairés ? vous étiez faibles contre vos ennemis, qui vous a rendus puissants ‘? vous étiez en discorde entre vous, qui vous a unis ? N’est-ce pas moi ? - Oui ! s’écrièrent les séditieux, touchés de ces vérités, et nous te devons de la reconnaissance - Eh bien, non, reprit généreusement Mahomet, c’est moi qui vous en dois! Vous pourriez me répondre autrement que vous ne me répondez, vous pourriez me dire à votre tour; Tu es venu à nous fugitif, et nous t’avons recueilli ; proscrit, et nous t’avons soutenu ; pauvre et nous t’avons enrichi ; accusé d’imposture, et nous avons cru en toi ; repoussé de tout le monde quand tu annonçais ta parole, et nous avons adopté ta loi! Voilà ce que vous pourriez me dire, et vous auriez dit la vérité - Non, non, répliquèrent les Médinois, c’est nous qui devons tout à Dieu et à son apôtre ! » Les larmes d’attendrissement et de réconciliation coulaient à la fois des yeux de Mahomet et des yeux des mécontents pendant ce dialogue, combat de reconnaissance. «Amis, reprit Mahomet d’une voix entrecoupée par ses sanglots, vous vous êtes affligés de n’avoir pas votre part à des biens périssables donnés par moi à des hommes de peu de foi, qu’il faut bien acheter par des récompenses charnelles à la cause de Dieu Mais vous, qui êtes fermes et désintéressés dans votre foi, je n’avais pas besoin de vous séduire à la vérité ! Que d’autres emmènent chez eux des troupeaux de brebis et de chameaux; vous, vous ramenez avec vous le prophète de Dieu dans vos familles ! Par celui qui tient dans ses mains le cour des hommes, j’appartiens aux croyants de Médine et je serai toujours avec eux! Mon Dieu ! poursuivit-il avec un accent de supplication lyrique, comme s’il eût mis le peuple dans la confidence de ses entretiens avec le ciel ; Mon Dieu ! sois propice aux Médinois mes alliés, mes fidèles! Etends ta miséricorde sur eux du père au fils, et de génération en génération ! »

Le peuple fut tellement remué par cette éloquence et par cette invocation, qu’il s’écria : « Nous sommes satisfaits de notre part, nous combattons pour le ciel et non pour des dépouilles. Toutes les barbes, dit le Kitab-al Aghani, furent baignées de larmes. »
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