La Vie de Mahomet

(Alphonse de Lamartine, 1854)

Livre 1 - Chapitre 51

Omar, pressé de s’assurer de l’infidélité de Fatima et de Zayd, court à leur demeure. Il les surprend dans la compagnie d’un néophyte qui leur lisait et leur interprétait le Coran. Au bruit de ses pas, le néophyte se dérobe comme un criminel, Fatima cache sous le tapis les feuillets du livre; mais Omar, qui avait entendu du seuil le bourdonnement d’une lecture à demi-voix : « Que lisiez-vous là ? leur demande-t-il. - Rien, répond Fatima. - Vous mentez, réplique Omar, vous lisiez le livre proscrit. » Et, se précipitant sur Zayd, il le terrasse aux pieds de sa sour. « Eh bien, oui, s’écrie Fatima indignée en se jetant entre son mari et son frère, oui, nous sommes adorateurs du Dieu unique, nous croyons à Dieu et à son prophète ; massacre-nous situ veux ! ». L’intrépide Fatima, involontairement blessée dans la lutte par Ornar, arrose de son sang les mains de son frère. A la vue de ce sang, Ornar se trouble et s’attendrit, il s’excuse « Montre-moi seulement, dit-il à sa sour, le livre que vous lisiez. - Je crains, lui dit-elle, que tu ne le déchires! » Omar fait serment de le respecter. Fatima lui présente le feuillet qui définissait l’unité, la grandeur, la sainteté, la miséricorde d’Allah. «Que cela est beau, que cela est sublime! » s’écrie Omar en lisant les versets du texte. Le néophyte, caché dans la chambre voisine, reconnaissant à ces exclamations que Dieu a retourné le cour du jeune homme, sort de sa retraite, se montre à Omar et lui dit : « Hier, j’entendais prier le maître ; Seigneur, disait-il, permets que l’islamisme soit fortifié par la conversion d’Omar, qui vaudrait à lui seul une armée à ta cause ! Le Seigneur l’a exaucé, le ciel sans doute te réserve pour être un des héros de sa foi ; cède à l’admiration involontaire que tu éprouves, et embrasse avec nous la vérité! - Je cède, dit Omar, indique-moi où est le prophète. Je cours confesser mon erreur et me donner à celui que j’étais venu combattre ! En ce moment, Mahomet, enfermé avec quarante de ses sectateurs dans une maison isolée de la colline de Safà, leur commentait sa doctrine. Un d’eux, aposté en sentinelle, pour avertir le cénacle de l’approche des infidèles, regarde par une fente de la porte. «Voilà Omar, armé de son sabre nu, s’écrie-t-il, il frappe à la porte. - Ouvre-lui, » répond Mahomet. Les disciples tremblent; Mahomet s’avance vers Omar, l’amène au milieu du cercle par le pan de son habit «Que viens-tu faire ? lui dit-il d’une voix de reproche voudras-tu donc persévérer dans ton impiété, jusqu’à ce que la colère du ciel éclate sur toi ? - Je viens répond humblement le féroce Omar, confesser Dieu et son prophète» La terreur des croyants se changea en joie et en bénédictions.

Omar, pressé de laisser transpirer sa conversion parmi les Coraïtes , sans l’avouer lui-même, se rend, en sortant du cénacle, chez un Coraïte fameux par son empressement à donner le premier des nouvelles, par la légèreté de sa langue et par son impuissance à garder un secret. «Ecoute, lui dit-il, mais ne me trahis pas, je viens de faire ma profession de foi secrète à l’islamisme !» Le semeur de nouvelles court aussitôt au parvis de la Kaaba cercle habituel des oisifs de la Mecque, en criant à haute voix qu’Omar vient d’apostasier les idoles, et qu’il est perverti comme les autres ! «Tu mens, lui dit Omar survenant derrière le nouvelliste, je ne suis pas perverti, je suis converti, je suis musulman, je confesse qu’il n’y a pas d’autres dieux que le Dieu unique, et que Mahomet est le révélateur de Dieu ! » A cette impiété, les Coraïtes , scandalisés, se précipitent sur Omar. Il tire son sabre et se défend seul contre tous. Les vieillards s’interposent et rétablissent la paix. Jusqu’à ce jour, Mahomet seul osait venir faire ses prières dans le temple d’Abraham en face des idolâtres. Il avait l’habitude de se placer pour ses adorations entre l’angle du temple et la pierre noire incrustée dans le mur. Le lendemain Omar osa y venir prier avec lui. La terreur de son sabre intimida les idolâtres. Bientôt les croyants y vinrent derrière lui. Deux religions se disputèrent ainsi le même sanctuaire, le schisme du Dieu unique affronta ouvertement les faux dieux.
Livre 1:
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30
31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47 48 49 50 51 52 53 54 55 56 57 58 59 60
61 62 63 64 65 66 67 68 69 70 71 72 73 74 75 76 77 78 79 80 81 82 83 84 85 86 87 88 89 90
91 92 93 94 95 96 97 98 99 100 101 102 103 104 105 106 107
Livre 2:
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20

Achetez le texte intégral avec les notes et commentaires d'Ali Kuhran (éditions L'Harmattan)