La Vie de Mahomet

(Alphonse de Lamartine, 1854)

Livre 1 - Chapitre 16

Les nourrices du désert, qui venaient ordinairement se disputer les nouveau-nés aux portes des familles puissantes, ne se présentèrent pas à la porte d’Aminà, parce qu’elle était veuve, et que les veuves, généralement pauvres, ne récompensait pas aussi largement que les pères les nourrices de leurs enfants. Enfin Halimà, une de ces femmes du désert qui vendaient leur sein, n’ayant pas pu trouver d’autre nourrisson dans la ville, revint chez Aminà à la fin du jour et emporta l’enfant. La crédulité des Arabes remarqua que, du jour où cet enfant fut entré dans la tente d’Halimà, les prospérités et les fécondités de la vie nomade y entrèrent avec lui. Sa nourrice refusait de le rendre à sa mère, dans la crainte de perdre avec lui la bénédiction de sa tente. Peu d’années après qu’il eut été sevré, quelques symptômes de l’exaltation mentale qui caractérisa plus tard l’enfant confirmèrent cette superstition domestique qui s’attachait à son berceau, et qui devait s’attacher avec tant d’éclat à sa tombe. Le fils de la nourrice, gardant un jour les troupeaux avec son frère de lait, à quelque distance de la tente, accourut seul et en pleurs vers sa mère. «Qu’y a-t-il? demanda Halimà. - Mon petit frère de la Mecque, répondit l’enfant, est couché à terre et ne peut se relever; il a vu deux hommes vêtus de blanc, qui l’ont terrassé et qui lui ont ouvert les côtes.» Halimà et son mari coururent à l’endroit où était resté Mahomet. Ils le trouvèrent relevé, mais pâle et tremblant. Il leur raconta que deux esprits célestes l’avaient endormi, et, prenant son cour dans sa poitrine, l’avait lavé de toutes les souillures de la terre’. Ces ablutions corporelles, symboles de la pureté de l’âme, dont le prophète fit plus tard des prescriptions, furent sans doute un souvenir de ce premier songe de l’enfant. La nourrice y vit le présage de quelques obsessions maladives de son nourrisson, et, ne voulant pas qu’il déshonorât ses soins en mourant sous sa tente, le ramena promptement à sa mère. « Tu crains qu’il ne soit possédé du mauvais esprit, dit Aminà à la nourrice, qui lui avouait ses inquiétudes, rassure-toi, le mauvais esprit n’a aucun pouvoir sur lui, une destinée immense attend cet enfant. » il resta six ans à la Mecque. Sa mère Aminà mourut au même lieu où était mort son père, en allant comme lui visiter ses parents à Yathreb. Elle laissa pour tout héritage à l’orphelin, vingt chameaux et une seule esclave âgée nommée Oùmm-Ayman. Les soins de cette esclave, envers laquelle Mahomet conserva les sentiments d’un fils, même après sa grandeur, remplacèrent ceux de sa mère Aminà. Son grand-père Abdelmotaleb, qui vivait encore, le recueillit dans sa maison. Ce vieillard avait l’habitude, comme les Arabes de haute naissance de la Mecque, de passer une partie du jour assis sur un tapis à l’ombre des murs de la Kaaha. Les petits enfants qui lui étaient nés dans sa vieillesse jouaient autour de lui avec l’enfant d’Aminà. Celui-ci, objet de la prédilection de son grand-père, occupait toujours la place la plus rapprochée du vieillard sur le tapis. Quand les spectateurs s’en étonnaient et voulaient par respect, écarter l’enfant: « Laissez, disait Abdelmotaleb, il a le pressentiment de sa grandeur future.
Livre 1:
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30
31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47 48 49 50 51 52 53 54 55 56 57 58 59 60
61 62 63 64 65 66 67 68 69 70 71 72 73 74 75 76 77 78 79 80 81 82 83 84 85 86 87 88 89 90
91 92 93 94 95 96 97 98 99 100 101 102 103 104 105 106 107
Livre 2:
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20

Achetez le texte intégral avec les notes et commentaires d'Ali Kuhran (éditions L'Harmattan)