La Vie de Mahomet

(Alphonse de Lamartine, 1854)

Livre 1 - Chapitre 5

Abraham, quelle que soit son origine à lui-même, fut le père commun des Arabes. Les uns, fils avoués de ce roi du désert par sa femme Sara, furent les Hébreux ; les autres, enfants chéris, mais désavoués, de son esclave Agar, furent les Ismaélites, toils également arabes, mais condamnés par la Providence, ou plutôt par leur caractère, cette providence des races, à des fortunes différentes. La Bible est l’histoire des premiers, l’Évangile en sortit par Jésus Christ. Les annales que nous compulsons sont l’histoire des seconds. Les Arabes d’Ismaël, ceux dont nous parlons ici, appellent dans leurs livres Abraham, leur père, El Khalil Allah, c’est-à-dire l’ami de Dieu. Son père Azer, disent-ils, était un des grands vassaux de Nimbrod, sorte de Jupiter fabuleux de l’Olympe babylonien. Nimbrod, intimidé par une prophétie qui annonçait la naissance d’un enfant supérieur aux autres hommes et à lui-même, défendit tout commerce entre les sexes dans ses États. Abraham naquit d’une transgression de l’amour conjugal à cet ordre. Son père et sa mère, pour éviter la colère de Nimbrod, dissimulèrent sa naissance. Ils le cachèrent, pour le nourrir, dans une caverne hors de la ville. Cette aventure et plusieurs autres du même genre dans les historiens arabes rappellent les précautions jalouses d’Hérode en Judée, et le massacre des enfants pour tromper les prophéties sur le prochain avènement du Christ. Abraham, nourri par les anges, grandit en force et en raison dans sa caverne. La première fois qu’il en sortit, c’était la nuit. Le ciel de la Chaldée, rempli d’êtres lumineux qui flottaient dans l’éther, lui révéla Dieu. Seulement rien ne lui avait encore appris à le distinguer de ses oeuvres. Une étoile plus resplendissante que les autres éblouit d’abord ses yeux « Voilà mon Dieu ! » se dit-il à lui-même. Bientôt elle s’inclina et disparut sous l’horizon. « Non, dit-il, ce n’est point là le Dieu que j’adorerai ! » Ainsi de plusieurs autres constellations. La lune se leva ensuite : « Voilà mon Dieu ! » s’écria-t-il: Et elle se coucha. « Non, ce n’est pas mon Dieu!» Enfin le soleil apparut dans sa pompe à l’Orient, à l’extrémité du désert: « Celui-ci est véritablement mon Dieu, dit-il, il est plus grand et plus éblouissant que tous les autres! » Le soleil accomplit sa carrière et descendit sous l’horizon, laissant la nuit sur le monde. « Ce n’est pas encore là le Dieu que je cherche pour l’adorer ! » dit tristement l’enfant prédestiné à l’adoration de la divinité invisible, immuable et éternelle. Il rentra dans sa caverne pour chercher son Dieu dans son âme!
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