La Vie de Mahomet

(Alphonse de Lamartine, 1854)

Livre 1 - Chapitre 20

Un jour, quatre des principaux sages de la Mecque, Waraca, Othman, Ohaydallah et Zayd, voyant avec mépris le peuple célébrer les fêtes d’une des idoles, se retirèrent un peu à l’écart et se dirent entre eux : « Les Coraïtes marchent dans une mauvaise route, ils se sont éloignés de la pure religion d’Ahraham qu’est-ce que cette prétendue divinité à laquelle ils sacrifient, et autour de laquelle ils font ces processions solennelles ? un bloc de pierre, inerte, sourd et muet, incapable de leur faire ni bien ni mal. Tout ceci n’est que mensonge ; cherchons la pure religion d’Abraham notre père, et, pour la retrouver, abandonnons, s’il le faut, notre patrie et parcourons les pays étrangers ! Waraca, déjà avancé en âge, passait pour la lumière de la Mecque. Il était l’oracle des Coraïtes , le plus savant et le plus lettré des Arabes, il avait eu des rapports avec les Juifs, il avait lu leurs livres sacrés, il avait emprunté d’eux l’idée et le pressentiment d’un Messie révélateur, prédestiné à régénérer l’esprit de l’homme; il connaissait également l’Evangile, il parlait avec respect du christianisme, et plus tard il mourut lui-même chrétien. Othman, son cousin, était de son cénacle de philosophes. Il se sentait attiré vers le Dieu d’esprit et de vérité que le Christ avait prêché non loin de l’Arabie. Il alla s’instruire à Byzance et il y reçut le baptême. Ohaydallah, travaillé des mêmes doutes, agonie des religions qui meurent en nous, devait flotter longtemps dans ses incertitudes, adopter quelques jours la réforme de Mahomet, puis la renier pour se donner enfin au christianisme. Quant à Zayd, plus impatient de vérité que ses trois amis, il rompit avec éclat tout pacte avec la religion de son pays, il blasphéma héroïquement les dieux des Coraïtes , il voulut partir pour visiter les pays lointains et pour y consulter les sages. Sa famille le fit retenir par force à la Mecque, surveillé par sa femme Saphyà. Il gémissait de la contrainte qu’il subissait. On l’entendait quelquefois, le dos appuyé contre le mur du temple, dire avec amertume au Dieu inconnu qui agitait sa conscience «Seigneur ! si je savais de quelle manière tu veux être servi et adoré, j’obéirais à ta volonté : mais je l’ignore » Il se prosternait ensuite la face contre la terre et mouillait la place de ses larmes. Il proclamait néanmoins l’unité du Créateur. On le confina dans une tente sur une colline inhabitée des environs de la ville. Il s’échappa, s’enfuit vers le Tigre, parvint en Syrie, vit le moine qui avait prophétisé la destinée d’un Messie prochain des Arabes dans le neveu d’Aboutaleb, repartit pour la Mecque afin d’embrasser sa cause, et périt en route, tué par les Arabes idolâtres.
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