La Vie de Mahomet

(Alphonse de Lamartine, 1854)

Livre 1 - Chapitre 45

L’excès des outrages dont il fut assailli lui valut un retour momentané de respect. Insulté sur la colline de Safâ, où il était allé faire sa prière, une femme, témoin à distance de l’insulte, désigna linsulteur à un de ses oncles, nommé Hamza. Hamza revenait de la chasse et tenait son arc à la main. Il se rendit tout armé à l’assemblée des grands ennemis de son neveu, et, y ayant rencontré celui qui avait lancé des pierres à son neveu pendant son oraison, il lui reprocha sa lâcheté, et lui donna un léger coup de bois de son arc sur la tête. L’indignation avait retourné l’âme d’Hamza et lui fit professer, par défi, les doctrines qu’une si odieuse persécution rendit tout à coup intéressantes à ses yeux. Comme les hommes généreux, il adopta la foi nouvelle, non parce qu’elle était vraie, mais parce qu’elle était faible. « Lâche! dit Hamza à l’insulteur de Mahomet, tu oses lapider Mahomet, parce qu’il annonce une religion que je professe moi-même Attaque-toi donc à moi, situ l’oses ! » Le coupable, repentant, confessa sa faute. Ses amis voulant le défendre contre Hamza: «Non, dit-il, ne le touchez pas, j’ai eu le tort d’insulter violemment le fils de son frère. » La conversion d’Hamza consola et fortifia Mahomet. Les vieillards Coraïtes , adoucis, entrèrent en négociation amicale avec lui, pour neutraliser l’effet de ses prédications sur la jeunesse. Ils le convièrent à une assemblée, dans le parvis de la Kaaba ; et l’un d’eux lui dit, au nom de tous : «Fils d’Abdallah, qui fut mon ami, tu es un homme éminent par ta naissance et par les dons de Dieu. Bien que tu introduises le trouble dans ta patrie et la dissension dans les familles, que tu blasphèmes nos divinités, et que tu accuses d’erreur nos ancêtres et nos sages, nous voulons agir envers toi avec les égards que méritent ton nom et tes vertus ; écoute les propositions que nous avons à te faire, et réfléchis s’il ne te convient pas d’accepter l’une de ces mesures de paix. - Parle, dit Mahomet attentif, je t’écoute. - Fils de mon ami, reprit le négociateur , si l’objet de ta prédication est d’acquérir des richesses, nous nous cotiserons tous pour, te faire une fortune supérieure à ce que posséda jamais le plus opulent des Coi-dites «ou Coréischites». Si tu tends à la domination, nous allons te nommer notre sayd, notre régulateur suprême, et nous ne prendrons pas une seule résolution contre ta volonté. Si l’esprit qui t’apparaît t’obsède et te subjugue malgré toi tellement que tu ne peux te soustraire à son influence, nous allons appeler à la Mecque les médecins les plus consommés de la Syrie, et nous leur prodiguerons l’or sans le compter, pour qu’ils te guérissent. Est-ce tout ? demanda Mahomet.

Oui, dit le vieillard. Eh bien, écoute à ton tour, dit Mahomet avec le ton de l’inspiration fatidique: «Au nom de Dieu clément et miséricordieux, «Voici ce qu’il a révélé: « Il a révélé un Coran (une écriture), un livre dont les versets distincts, réunis ensuite, forment un livre arabe pour les hommes qui en ont l’intelligence. « Ce livre contient des promesses et des menaces; mais la plupart refusent de l’entendre. « Nos cours, disent les Arabes, sont fermés, nos oreilles sourdes à tes paroles. Laisse-nous croire et prier selon la coutume de nos ancêtres, et ci-ois et prie toi-même comme tu voudras. «Mais le Dieu clément et miséricordieux me parle : Dis- leur: Je ne suis qu’un homme comme vous, mais un homme à qui il a été révélé que le Dieu, votre maître, est un Dieu unique ! Malheur à ceux qui lui associent des idoles ! Malheur à ceux qui repoussent le précepte de l’aumône et qui nient la vie future! Il a appelé le ciel et la terre, et ils ont répondu Nous voilà pour obéir ! La rétribution des ennemis de Dieu, c’est le feu ! Des anges portent à l’adorateur du Dieu unique, au juste mourant, des promesses consolantes; ils lui annoncent le jardin de délices ! » Après cette profession de l’unité de Dieu et des rémunérations futures, selon les oeuvres, Mahomet se prosterna comme devant les paroles divines que l’esprit aurait fait proférer à ses lèvres. « Tu as entendu, dit-il au vieillard chargé de négocier avec lui, prends maintenant toi-même le parti qui te conviendra ! Le vieillard, nommé Otba, se retourna avec le visage ravi d’étonnement vers ses amis. «Qu’y a-t-il ? lui demandèrent- ils. - Par nos dieux, leur dit-il, il vient de professer des paroles telles que je n’en entendis jamais ! Ce n’est ni de la poésie, ni un langage cabalistique, mais c’est quelque chose qui tombe de haut sur l’esprit et qui remue le cour en le pénétrant. Croyez-moi, laissons-le librement convaincre les Arabes de sa mission. Quelque fidèle d’une tribu étrangère vous en délivrera peut-être, si sa destinée est de périr ; si Mahomet, au contraire, réussit dans son apostolat, sa puissance deviendra la vôtre et fera à jamais la gloire de notre tribu. «- Il t’a ébloui toi-même, lui dirent-ils avec incrédulité. «- Je vous dis franchement ce que je pense,» répliqua Otba.
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