La Vie de Mahomet

(Alphonse de Lamartine, 1854)

Livre 1 - Chapitre 64

Aussitôt que Mahomet se fut assuré ses asiles, ses fidèles et ses alliés, l’esprit de prosélytisme sembla se changer en lui en esprit de conquête. Le guerrier remplaça le prophète. La vengeance lui fit prendre les armes contre ses persécuteurs’. Il enrôla quelques centaines d’hommes intrépides et marcha avec eux vers la Mecque. Cent hommes dans ces déserts étaient alors une armée, et la moindre rencontre prenait le nom de bataille. Il conclut, dans ses excursions armées dans le désert, des alliances nouvelles avec les tribus errantes et enrôla leurs plus vaillants guerriers dans ses troupes. Tous ses succès, pendant la première année, se bornèrent à la surprise et au pillage d’une caravane de la Mecque chargée de raisins secs et de cuirs. Celui de ses lieutenants qui avaient remporté cette victoire pendant les jours saints fut blâmé par lui d’avoir versé le sang en temps prohibé. «Cependant, dit-il en s’adoucissant et en partageant les dépouilles entre les croyants, l’idolâtrie est pire que le meurtre ! » Il établit à cette occasion, l’usage qui subsiste encore aujourd’hui d’appeler les fidèles à la prière par un signal qui confondit les voeux du peuple, aux mêmes heures, dans une même inspiration. On lui proposa d’abord les sons de la trompette qui appelait les juifs dans leur temple, puis la crécelle qui convoquait les chrétiens avant l’invention de la cloche; il préféra, après de longues hésitations, la voix humaine, ce signal vivant, cet appel de l’âme à l’âme, qui donne aux sous l’accent de l’intelligence et de la piété. Il institua des muezzins, serviteurs de la mosquée, choisis à l’étendue et à la sonorité de leurs voix, pour monter aux sommets des minarets et pour chanter d’en haut sur la ville ou sur la campagne l’heure de la prière. Il donna, pour la première fois, cette fonction à tin affranchi d’Aboubekre, son compagnon de fuite, à cause de la mélodie de sa voix. Il lui dicta l’antienne inaltérable de cette convocation, répétée depuis par tant de milliers de bouches sur tous les minarets de l’Afrique, de l’Europe et de l’Asie: « Dieu est grand ! J’atteste qu’il n’y a qu’un Dieu Mahomet est l’apôtre de Dieu ! Venez à la prière ! Venez au salut « Dieu est grand ! Dieu est unique ! Venez à la prière Venez à la prière ! » Il fixa, en même temps, le minimum d’aumône que chaque musulman serait tenu, devant Dieu, de donner aux pauvres pour racheter son droit de propriété et de privilège sur ses frères indigents. Cet impôt du ciel fut évalué par le législateur au dixième des choses possédées- . Il corrigea ainsi, par une prescription de charité, cette âpreté du gain, vice égoïste des Arabes, et nivela sans cesse et volontairement les inégalités de fortune par le perpétuel écoulement des aumônes. Ce fut le jubilé des juifs, qui remettait les dettes tous les sept ans, appliqué sous une autre forme aux musulmans. Cette loi, religieusement observée dans tout l’islamisme, sévit constamment à y éteindre à la fois le scandale des richesses trop accumulées et le scandale des indigences trop criantes. Elle propagea aussi l’esprit de famille et les devoirs de fraternité dans tout le peuple.
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