La Vie de Mahomet

(Alphonse de Lamartine, 1854)

Livre 1 - Chapitre 96

La dernière femme de Mahomet, Maria la Copte, qui était chrétienne, lui donna un fils à son retour dans Médine. Il le nomma Ibrahim et célébra des fêtes splendides à sa naissance. Sa belle esclave Maria fut affranchie par Mahomet en reconnaissance de l’enfant qu’elle avait conçu. « Le fils, dit-il dans le Coran, affranchit la mère ! » Les esclaves fécondes devinrent ainsi libres par la maternité. Toutes les femmes de Médine se disputèrent la gloire de donner leur lait au fils et à l’héritier du prophète. Il lui donna pour nourrice une femme illustre par sa naissance, épouse d’un de ses guerriers. Il allait souvent visiter l’enfant chez sa nourrice. La mort, qui semble envier la postérité aux grands hommes, lui enleva promptement ce fils. Ses ennemis qui regardaient la privation d’enfant mâle comme une disgrâce céleste, donnèrent à Mahomet le surnom ignominieux d’homme sans continuation de lui-même . Des querelles domestiques troublèrent, depuis ce jour, la paix de son harem. La fécondité de Maria la lui avait rendue plus chère. Son affranchissement interdisait au prophète les rapports de tendresse que la loi permettait avec son esclave . Les autres femmes légitimes de Mahomet, jalouses des fréquentes visites qu’il faisait à Maria, murmurèrent contre ces préférences . Sa seconde femme, Hafsa, rentrant un jour inopinément dans sa chambre, surprit Maria sur le tapis du prophète; elle éclata en reproches et en sanglots. Mahomet, craignant les accès de jalousie que ses entretiens avec la jeune mère d’ibrahim soulèveraient dans son intérieur, pria Hafsa de ne rien révéler à ses compagnes, et lui jura qu’il ne reverrait jamais Maria. Hafsa promit tout et ne tint point sa parole. Elle confia l’aventure à Aiche, son amie. Aiche, fière et jalouse, ébruita partout sa colère. Mahomet punit ces rivales en répudiant Hafsa et en s’éloignant d’Aïché pendant un mois. Il ne témoigna sa tendresse qu’à la mère de son fils.

Omar, père d’Hafsa, Aboubbekre, père d’Aiche, prirent parti pour leurs filles. Mahomet craignit de les aliéner de lui plus longtemps. Il reprit Hafsa, il rendit sa tendresse à Aïché; mais il promulgua un verset spécial du Coran pour légitimer sa faiblesse de cour pour l’Egyptienne. « Femme, dit ce verset, si vous vous insurgez contre le prophète, sachez que Dieu se déclare pour lui. Il ne tiendrait qu’à lui de vous répudier toutes, et le Seigneur lui donnerait des épouses meilleures que vous ! »’ Ces dissensions féminines ne flétrirent pas aux yeux des Arabes la divinité de sa mission. Des centaines de vieillards, députés des peuplades les plus lointaines, venaient lui apporter la soumission et les tributs de l’Arabie. Les ambassadeurs des Arabes errants disputaient aux Arabes sédentaires à Médine la prééminence dans l’affection du prophète. Des luttes d’éloquence et de poésie s’établirent sur ce texte entre les orateurs et les poètes des deux races. « Nos généalogies, disaient les Bédouins, nous assurent la noblesse et l’empire; nous sommes les guerriers et les sages ; nous coupons les têtes qui prétendent se lever au niveau des nôtres ! - Nous sommes les hôtes et les compagnons de Mohammed, répondait pour les Médinois le poète Hassan ; pour défendre sa vie, nous avons exposé celles de nos femmes et de nos filles Quoi ! vous osez parler de noblesse et de gloire devant nous, vous qui donnez des nourrices à nos enfants et des esclaves à nos demeures ! » Les ambassadeurs bédouins confessent la supériorité du génie d’Hassan, le poète du prophète. Cependant Mahomet voulut les consoler en s’entretenant avec un jeune homme d’entre eux qui était demeuré, à cause de la modestie de son âge, à la garde des chameaux, hors de la ville. Après avoir entendu ce jeune orateur qui surpassait en sagesse et en persuasion les vieillards : « Véritablement, s’écria-t-il, l’éloquence est la magie de l’âme !» Il en fit un missionnaire de sa foi dans le désert. Ce disciple lui convertit des milliers de tentes.
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