La Vie de Mahomet

(Alphonse de Lamartine, 1854)

Livre 2 - Chapitre 18

Othman, élevé au khalifat, périt lui-même victime des discordes civiles. Après Othman, Ali, le disciple chéri de Mahomet, à qui le prophète avait donné sa fille Fatma pour femme, véritable héros d’Homère, reçut comme khalife les hommages des fidèles musulmans. Son règne, d’abord troublé par les intrigues de la belle et éloquente Aïché, veuve de Mahomet, qui remuait l’empire de ses jalousies et de ses ambitions, s’acheva dans des conquêtes. Aïché, vaincue, pardonnée et honorée par son vainqueur, revint vieillir à Médine dans l’opulence. Ali avait la bravoure d’Omar et la constance de Mahomet ; il écrivit des vers et des maximes qui sont resté dans la philosophie des musulmans, sinon comme des révélations, au moins comme des inspirations de l’islam. Il y en a dans le nombre qui semble imités de la sagesse et de l’ascétisme des chrétiens. Il proférait souvent celle-ci dans ses fortunes ou dans ses revers «Celui qui veut être riche sans trésors, puissant sans empire, et serviteur sans maître, n’a qu’à mépriser les vanités de ce monde, et se faire serviteur de Dieu ; il trouvera ces trois choses en lui ». Son règne vit naître le premier schisme dans l’islamisme. Moawiah, fils d’Abou-Sofyan, se fit proclamer khalife à Damas, pendant qu’Ali régnait à Médine, et fut le chef de la dynastie des Ommïades. Ali, assassiné dans la mosquée par un fanatique de la secte des Kharégites, laissa deux fils. L’aîné, Hassan, lui succéda : mais, faible et ami de la paix, il ne tarda pas à abdiquer en faveur de Moawiah, son rival. Le plus jeune, Hosséin, releva le drapeau d’Ali contre le khalife Yézid, fils de Moawiah. Il fut tué sur les frontières de Perse dans une embuscade que les partisans d’Yézid lui avaient dressée. Un des meurtriers d’Hosséin fut chargé de porter sa tête coupée au général d’Yézid, à Koufah. Cet homme, trouvant les portes de la ville fermées, revint sur ses pas, et entra pour passe la nuit dans sa maison, qui était située en dehors de la ville. Il réveilla sa femme endormie et lui dit «J’apporte avec moi le présent le plus précieux qu’on ait jamais fait au khalife. - Qu’est-ce donc ? lui demanda sa femme. - C’est la tête d’Hosséin répondit le guerrier : la voilà: je suis chargé de la présenter au général d’Yézid. » L’épouse, indignée et épouvantée du sacrilège en pensant qu’Hosséin était le fils de Fatimà et le petit-fils du prophète, s’élança de sa couche, et s’écria avec horreur en se refusant aux embrassements de son mari : «Je n’approcherai jamais d’un homme qui m’apporte la tête du petit-fils du prophète!» Le guerrier appela une autre de ses femmes pour passer la nuit avec lui ; mais cette femme ne put dormir un seul instant dans la chambre, éblouie, disait-elle par une auréole lumineuse qui sortait des yeux, du front et du sang d’Hosséin. Zaynad, sour d’Hossein, avait été la fidèle compagne des périls et des exploits de son frère. Elle fut conduite captive avec son jeune neveu Ali, encore enfant, devant le lieutenant d’Yézid. Celui-ci ordonna de tuer l’enfant pour couper en lui la racine du schisme. «Commencez par me tuer moi-même » s’écria Zaynad en couvrant de son corps le fils de son frère. Le vainqueur, intimidé par l’héroïsme de cette femme, n’osa achever son crime. Il se contenta d’envoyer au khalife de Damas Zaynad et son neveu Ali enchaînés par des anneaux de fer qui meurtrissaient leurs bras et leurs pieds. Yézid, en recevant ces i-estes de famille de son rival, s’indigna contre son lieutenant, fit tomber les fers de Zaynad et de son neveu, et, après les avoir reçus et honorés dans son propre palais, les fit reconduire respectueusement à Médine comblés de présents. Ce meurtre d’Hosscin fils d’Ali, dont la mort fut célébrée comme un martyr et commémorée d’âge en âge par les partisans d’Ali, devint la date et la consécration du grand schisme qui divise encore les Persans des Turcs sur la légitimité du khalifat. Les Schiites, partisans d’Ali, qu’ils considèrent comme l’héritier légitime du fils d’Abdallah, revendiquèrent longtemps pour les descendants du prophète les droits au pontificat et à l’empire ; mais la victoire devait rester aux Sonnites ou traditionnaires, qui reconnaissaient l’autorité des trois premiers successeurs de Mahomet et celle des Ommïades. Les khalifes de ce dernier parti, maîtres tantôt contestés, tantôt reconnus de tout l’empire, choisirent pour leur capitale l’opulente et voluptueuse ville de Damas, où le luxe et les délices de la Syrie ne tardèrent pas à corrompre la sainteté et l’ascétisme des enfants de l’Arabie. Mais la parole du prophète et leurs armes continuaient de leur conquérir l’Orient et l’Occident : l’Afrique septentrionale, l’Espagne et la Gaule méridionale étaient envahies, et la bataille de Tours, gagnée par Charles-Martel, sauvait seule, en 732 de Jésus-Christ, la chrétienté du joug de l’islamisme.
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