Ces hommes inspirés, tour à tour pasteurs, poètes, héros, avaient des vies aussi poétiques que leurs poèmes. Nous nen citerons quun exemple pour achever ce tableau de murs dans la vie de lun deux, le jeune Mourakkich, qui mourut au commencement de la mission de Mahomet. Mourakkich était fils dun chef de tribu nommé Amr. Il aimait une de ses cousines de la même tribu, nommé Esma, fille dAuf. Il la demanda pour épouse à son oncle. Auf lui répondit : «Tu es trop jeune, trop obscur et trop pauvre encore ; mais je te promets ma fille quand tu te seras fait un nom et une fortune. » Mourakkich partit pour mériter sa cousine. Il parcourut les tribus, sillustra par le courage et par le génie ; et sétant attaché à un roi arabe, puissant feudataire de la Perse, il acquit à sa cour des troupeaux, des tentes, des étoffes, des joyaux, dignes dêtre offerts à son oncle pour prix de la main dEsma. Mais, pendant son absence, la famine ayant désolé la tribu dAuf, celui-ci, oubliant ses promesses à son neveu, avait donné sa fille en mariage à un riche Arabe de lYérnen, au prix de cent chameaux chargés de grains. Le mari dEsrna lavait emmenée à Nadjran sa patrie. Au retour de Mourakkich dans sa tribu, on lui dit, pour épargner sa douleur, que sa cousine était morte. Le désespoir le consuma lui-même jusquà la langueur. Le hasard lui fit cependant découvrir la supercherie dAuf, le mariage et le lieu de la résidence dEsma. Quoique mourant, il partit pour revoir au moins son amante. Ses forces ne lui permettaient plus de se tenir en selle ; il voyageait couché sur son coursier et soutenu par deux esclaves. La fatigue aggrava son mal non loin de Nadjran ; ses deux esclaves, le voyant évanoui et le croyant mort, le déposèrent à lombre dans une caverne des montagnes. Mourakkich, abandonné ainsi et revenu à lui, fut découvert dans la caverne par un berger qui gardait les troupeaux du mari dEsma. « Approches-tu quelquefois librement de la femme de ton maître, lui dit Mourakkich, et pourrais-tu lui transmettre un message secret ? - Non, répondit le berger, mais je vois chaque soir une de ses esclaves qui vient traire le lait de mes chèvres pour le porter à sa maîtresse. - Eli bien, dit Mourakkich, je réclame de toi un service dont tu seras largement récompensé. Prends cet anneau et jette-le dans le lait que lesclave porte à Esma.» Le soir, à lheure où lesclave apportait la coupe dans laquelle buvait sa maîtresse, le berger, en y versant le lait, y laissa glisser lanneau. Esnia, en buvant, ayant senti lanneau qui tintait contre ses dents, le prit dans sa main, le considéra à la lueur du feu, et le reconnut à certains signes quelle y avait gravés en le donnant autrefois à son cousin. Elle demanda des éclaircissements à son esclave, aussi étonnée quelle-même. Alors elle appela son mari et lui dit : « Envoie chercher le berger de tes chèvres, et apprends de lui doù vient cette bague.
Le berger répondit à son maître « Jai reçu cet anneau dun homme que jai rencontré dans la caverne de Djébban. Il ma prié de jeter la bague dans le lait destiné à Esma. Jai fait ce quil ma ordonné. Du reste, jignore son nom et sa tribu, et quand je lai laissé dans la caverne, son dernier soupir était près de ses lèvres. - Mais, dit le mari à sa femme, à qui donc appartient cet anneau ? -Cest lanneau de Mourakkich, répondit Esma ; il est mourant, hâtons-nous daller le recueillir. » Le mari fit aussitôt préparer son cheval et en fit seller un second pour sa femme, afin que la vue de celle quil avait aimée pût rendre la force et la joie au malade. Ils partirent accompagnés desclaves chargés de provisions et dune litière suspendue aux flancs dun chameau. Avant la nuit, ils arrivèrent à la caverne. Mourakkich expirant fut recueilli et transporté par eux à Nadjran. Ils le traitèrent en frère. Leur tendresse et leur compassion ne purent guérir la blessure que loubli des promesses de son oncle et la déception de son retour lui avaient faite dans le cour. Mais il goûta, du moins, la consolation suprême de mourir dans la maison et sous les yeux dEsma
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