La Vie de Mahomet

(Alphonse de Lamartine, 1854)

Livre 1 - Chapitre 85

Sayd, son guerrier favori, en ressortit aussitôt à la tête de l’élite de ses troupes pour marcher contre la Syrie. Les princes arabes de cette partie de l’Asie Mineure, alliés des Romains. avaient rassemblé contre le dominateur de l’Arabie indépendante une armée de cent mille combattants. Sayd succomba sous cette nuée d’ennemis et perdit la vie dans la bataille’. Le drapeau de Mahomet que Sayd portait tomba avec lui. Djafar le releva, d’un coup de sabre lui abattit la main droite; il saisit le drapeau de la main gauche, un autre coup de sabre lui trancha cette main; il continua à tenir l’étendard levé entre ses bras sanglants et sa poitrine jusqu’à ce qu’un coup de lance le renversât dans les plis du drapeau. Trois autres guerriers le relevèrent successivement et moururent. A la fin, Khaled parvint à le tenir debout, à rallier ses troupes et à se replier sur Médine. Mahomet, en apprenant le premier ce revers montra plus de douleur de la perte de ses amis que de la défiance de la fortune. Il alla visiter Esma, femme de Djafar, tué sous le drapeau, et se fit amener ses deux petits enfants ; il les embrassa et pleura sur eux. «Apôtre de Dieu, lui dit Esma inquiète, pourquoi pleures-tu ? - Ils n’ont plus de père ! répondit le prophète. En sortant de la maison de la veuve, il rencontra sur la place de Médine la fille de Sayd, qui ignorait également la mort de son père. Il serra en sanglotant dans ses bras. « Que veulent dire ces sanglots ? lui demanda la jeune fille. Ce sont, répondit Mahomet, les regrets d’un ami sur la perte d’un ami ! » Bien loin de reprocher leur revers à ses troupes vaincues, il marcha au-devant d’elles en signe d’honneur, suivi de la population entière de Médine. Il portait devant lui sur sa chamelle les fils en deuil de ses généraux tués pour lui. L’armée lui rapportait leurs cadavres. Il leur fit de magnifiques funérailles. Des élégies héroïques furent récitées à leur gloire. « Ne pleurez pas sur Djafar, dit en chaire le prophète, à la place des deux mains qu’il a perdues pour la foi, Dieu lui a donné deux ailes sur lesquelles il plane maintenant dans le paradis avec les esprits célestes ! » Il donna sa veuve Esma pour épouse à Aboubekre. Le ciel sembla justifier sa confiance en dispersant comme la poussière la nuée de Syriens, de Romains et d’Arabes vainqueurs de Sayd. La discorde ne tarda pas à rompre le faisceau. D’ailleurs, Mahomet protégé par la nudité d’un désert sans vivres et sans eau, n’avait rien à craindre d’une expédition si nombreuse. Il pouvait attaquer partout sans être attaqué jamais dans sa capitale. L’espace et la solitude combattaient pour lui. Sa religion, portée à son gré par ses chameaux et par ses coursiers, était inaccessible dans son aire. La défaite, la victoire et le temps multipliaient de jour en jour ses sectateurs. Le chef des Coraïtes , Abou-Sofyan, beau-père de Mahomet, étant venu à Médine sans sauf- conduit pour négocier avec lui, entra chez sa fille Habibé et s’assit sur son tapis. Hahibé retira le tapis des pieds de son père. «Que fais-tu, ma fille ? lui dit Abou-Sofyan, me trouves-tu donc indigne de m’y asseoir ? - Ce tapis, répondit Habibé, est le lit du prophète de Dieu, et tu es souillé par l’adoration des idoles ! »
Livre 1:
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30
31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47 48 49 50 51 52 53 54 55 56 57 58 59 60
61 62 63 64 65 66 67 68 69 70 71 72 73 74 75 76 77 78 79 80 81 82 83 84 85 86 87 88 89 90
91 92 93 94 95 96 97 98 99 100 101 102 103 104 105 106 107
Livre 2:
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20

Achetez le texte intégral avec les notes et commentaires d'Ali Kuhran (éditions L'Harmattan)