La Vie de Mahomet

(Alphonse de Lamartine, 1854)

Livre 1 - Chapitre 9

Les Arabes n’étaient point un peuple, c’était une collection de peuplades, de tribus, de familles de hordes plus ou moins nombreuses, les unes sédentaires, le plus grand nombre constamment nomade, couvrant de quelques bourgades et d’une nuée de tentes et dc troupeaux cette côte de la mer Rouge comprise entre l’Égypte et l’océan Indien. L’énumération de ces tribus et de ces hordes indépendantes les unes des autres, quelquefois alliées, quelquefois ennemies, sans autorité supérieure qui leur imposât la loi et la paix ou qui leur garantit l’indépendance, serait inutile et fastidieuse ici. Ce serait l’histoire de chaque groupe de tentes du désert. Des tribus principales, plus nombreuses, plus riches en sol ou en troupeaux, plus renommées pour la guerre, groupaient, protégeaient, dominaient de temps en temps quelques tribus inférieures et formaient de grandes dissensions qui ravageaient l’Arabie. Ces supériorités accidentelles n’avaient rien de stable ni de légal ; acquises dans un combat, elles se perdaient dans un autre. La constitution de l’Arabie était la guerre civile permanente entre tous les membres de cette république fédérale de tribus. Aucun sacerdoce, aucune dictature, aucune autorité monarchique, nationale, aucun conseil fixe et souverain, n’imposait ses lois à cet arbitraire anarchique des différents membres de la confédération. République sans représentation et sans centre commun, composée d’une foule de petites monarchies héréditaires des chefs de tribus dont la généalogie faisait le titre du gouvernement, l’Etat n’existait pas. La famille, multipliée par la tribu, existait seule. Là, le pouvoir qui manquait au centre se retrouvait fortement constitué par les moeurs dans la famille. Mais, quoique absolu dans le chef de tribu, ce pouvoir participait dans l’application de la douceur et du libre consentement habituel au pouvoir domestique, dans le gouvernement paternel. Les frères, les fils, les parents du chef, les vieillards, les sages, les riches, les guerriers renommés par leurs exploits, les poètes illustrés par leurs chants, tenaient un conseil perpétuel devant la tente, ou dans la maison du roi de la tribu, où tout se délibérait et se décidait en plein peuple. Il n’y avait ni livre, ni charte, ni lois écrites. Mais les traditions sacrées et les moeurs inviolables exerçaient un empire d’autant plus absolu qu’il était écrit dans la mémoire, dans le consentement et dans le respect de tous. Toute violation en était sacrilège. Chaque tribu avait pour nom le nom de son premier ancêtre.
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