Mais les Arabes savaient par combien de meurtres un meurtre se rachetait sur les meurtriers. Cest cette loi du sang pour le sang qui paraît seule avoir préservé si longtemps Mahomet dune mort sans cesse suspendue sur sa tête. Mais cette loi ne le protégeait pas contre les autres sévices. Ils faisaient de lexistence du prophète dans sa patrie un long martyre et que nadoucissait aucune consolation de ses compatriotes. Il raconte lui-même que son cour défaillait en lui sous la pression dune animadversion si universelle. Un soir quil avait passé toute la journée dans la ville, occupé à prêcher à des sourds les convictions dont il était plein et quil croyait de son devoir de répandre à tout prix, même sur le rocher, il rentra dans sa maison sans avoir rencontré, dit-il, un seul être, homme ou femme, libre ou esclave, qui ne leût traité dimposteur ou qui eût consenti seulement à prêter loreille à ses prédications. Cette incrédulité générale de ses doctrines le fit presque douter de lui-même. Il paraît avoir éprouvé ce jour-là cette agonie intérieure des idées prêtes à mourir en nous, faute de trouver dans les autres cet écho, même solitaire, qui leur confirme au moins leur identité, comme le retentissement du cachot confirme au prisonnier le bruit de ses pas dans le vide. Il rentra silencieux consterné, découragé, senveloppa la tête de son manteau, se coucha sur sa natte et sendormit. Linspiration, plus obstinée que la surdité du peuple, le visita pendant son sommeil. Il entendit une voix qui lui criait dans le cour : « O toi qui tenveloppes dun manteau poor dormir, lève-toi et prêche ! » Il se leva avec le jour et sortit pour prêcher comme sil eût fait la veille une moisson dâmes.
|