Pendant les dix années qui suivirent son mariage, aucune lueur éclatante ne signala la vie de Mahomet. Il vécut dans lobscurité, dans la méditation et dans le silence. Il avait trente-cinq ans quand les habitants de la Mecque délibérèrent de reconstruire la Kaaha on le temple, qui sécroulait de vétusté et dont les pèlerins déploraient la décadence. La piété les poussait, le respect les retenait. Un navire romain ayant fait naufrage, précisément dans ces temps-là sur les écueils de la mer Rouge, non loin de la Mecque, jeta sur la côte du bois, du fer et un charpentier échappé au naufrage . On vit un augure dans ce secours céleste de matériaux et dun artisan pour les mettre en oeuvre. Mais au moment de lever la main sur les murs croulants, pour les réparer, nul nosa porter le premier coup. Enfin Walid, plus pieux ou plus hardi que ses compatriotes, prit une pioche et sécria en la levant pour abattre un pan de mur : «Ne tirrite point contre nous, ô Dieu dAbraham ; ce que nous faisons, nous ne le faisons que par piété ». Le mur croula et Walid ne fut point frappé de mort. Cependant les Coraïtes voulurent laisser passer la nuit avant de continuer, pour bien sassurer quaucune vengeance divine ne punirait le sacrilège matériel de Walid. Il sortit le matin de sa maison sain et sauf. Les Coraïtes , à son aspect, se rassurèrent et achevèrent la démolition. Mais quand il fallut replacer la pierre noire dAbraham dans un pan de la nouvelle muraille, les principales familles de la Mecque se disputèrent lhonneur de la replacer. On prit les armes pour juger la contestation par la guerre. Au moment de combattre, des sages sinterposent, et Mahomet, regardé comme le plus juste de tous, est choisi pour arbitre. Il étend à terre son manteau, il fait poser la pierre sacrée sur létoffe, il place les quatre coins du manteau entre les mains des quatre chefs des factions dont la rivalité allait ensanglanter le temple, et il fait élever simultanément par eux la pierre, dont le poids est ainsi partagé jusquà la hauteur quelle doit occuper dans le mur. Les Arabes admirèrent cette politique, cette équité et cette sagesse en parabole. Sa renommée sen accrut ; le roi de Perse, Cosroès, à qui lon raconta le subterfuge des Mecquois, demanda : «De quel aliment se nourrissent-ils donc? - De pain de froment, lui répondit-on. - À la bonne heure, reprit le roi, car le lait et les dattes ne pourraient donner cet esprit-là ! »
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