La Vie de Mahomet

(Alphonse de Lamartine, 1854)

Livre 1 - Chapitre 38

Ces premières prédications de Mahomet passèrent dans la Mecque pour les visions d’un homme de bien dont l’âme, exaltée par la méditation, était partagée par une grande sagesse et par un peu de démence. Tant qu’il se contenta de professer dans les places publiques, dans les assemblées et dans le temple, le dogme majestueux de l’unité de la perfection de Dieu, et les devoirs de la prière, morale suprême dans les rapports d’adoration de la créature au Créateur, le peuple l’écouta sans fanatisme, mais sans répugnance. C’étaient là des idées assez généralement admises et tellement hautes, qu’elles passaient par-dessus les têtes sans briser les idoles en crédit. Mais, aussitôt que, tirant les consequences religieuses de ce dogme spiritualiste, il en vint à proscrire les idoles qui souillaient le temple et qui usurpaient la place, la foi et le respect du Dieu unique, un cri général d’indignation s’éleva contre le blasphémateur. La piété des adorateurs des idoles se changea en colère et en imprécation contre lui. Le peuple demanda aux grands protection et vengeance pour les dieux du pays. Les grands s’assemblèrent ; ils n’osèrent sévir contre Mahomet, protégé par sa parenté avec la puissante famille d’Aboutaleb. Ils envoyèrent une nombreuse députation, choisie parmi les plus sages et les plus conciliants d’entre eux, pour demander à Aboutaleb lui-même, ou de réprimer l’audace blasphématoire de son neveu, ou de permettre qu’ils la réprimassent eux-mêmes en gardant une patriotique neutralité. « Le fils de ton frère, lui dirent-ils textuellement, Mohammed, outrage notre religion ; il accuse nos sages de folie, nos ancêtres d’impiété ou d’erreur ; empêche-le de nous provoquer ou reste neutre entre nous et lui ; et, puisque toi- même, tu n’as pas adopté ses chimères, laisse-nous punir son audace à attaquer un culte qui est aussi le tien. » Aboutaleb, soit par dédain pour la religion populaire, soit par inclination secrète pour la doctrine professée par Mahomet, soit par susceptibilité d’orgueil de famille, soit enfin par cette tendresse reconnaissante qu’il paraît avoir toujours nourrie dans le fond de son cour pour un neveu qui avait été son fils adoptif, et qui, à son tour, servait de père à son fils Ah, éluda ce discours des grands de la Mecque. Il refusa de promettre une neutralité qui, chez les Arabes, aurait paru un lâche abandon des droits du sang. Mahomet, fort de cet appui, continua ses prédications dans les lieux publics.
Livre 1:
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30
31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47 48 49 50 51 52 53 54 55 56 57 58 59 60
61 62 63 64 65 66 67 68 69 70 71 72 73 74 75 76 77 78 79 80 81 82 83 84 85 86 87 88 89 90
91 92 93 94 95 96 97 98 99 100 101 102 103 104 105 106 107
Livre 2:
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20

Achetez le texte intégral avec les notes et commentaires d'Ali Kuhran (éditions L'Harmattan)