La Vie de Mahomet

(Alphonse de Lamartine, 1854)

Livre 1 - Chapitre 21

Dans le même temps vivait à la Mecque, dans une échoppe de la colline Marwà, quartier des artisans en métaux, un orfèvre nommé Djaber, Grec d’origine et chrétien de religion ; Mahomet fréquentait la boutique de cet artisan. Il avait avec lui de fréquents et longs entretiens, dont l’objet mystérieux ne pouvait être que les dogmes et la morale du christianisme, culte vers lequel le jeune philosophe penchait, comme ses quatre amis. Bien que l’entretien fut pénible entre l’artisan grec, qui ne savait qu’imparfaitement l’arabe, et le Coraïte, qui ne savait pas le grec, Mahomet ne se rebutait pas de cet obstacle, et passait des heures et des jours dans la société de ce chrétien. Cette fréquentation, remarquée plus tard quand il promulgua sa doctrine, le fit accuser de n’avoir rien conçu lui-même, et d’avoir fait écrire les préceptes du Coran par la main de l’orfèvre de Marwà. Il répond indirectement à cette supposition plus ou moins probable par ce verset de son livre: «ils disent qu’un homme étranger endoctrine Mohammed, sans réfléchir que cet étranger ne parle qu’un langage barbare, et que le Coran est écrit dans la langue arabe la plus correcte et la plus pure. » Mais pendant que le jeune homme puisait dans les sources étrangères la philosophie religieuse des nations voisines, mages en Perse, Hébreux en Judée, déjà chrétiens en Syrie et en Abyssinie, il se livrait avec les poètes et les hommes lettrés de son pays aux études nécessaires pour donner un jour à ses pensées la propriété, la force et la pureté du verbe national. Il savait que la vérité, pour devenir vulgaire, doit se réfléchir dans un miroir qui la reproduise à la fois claire, éclatante et pénétrante comme le rayon de l’eau. La langue arabe, d’autant plus pure dans le désert qu’elle y était moins altérée par le contact des idiomes étrangers, offrait en ce moment au révélateur un admirable instrument d’intelligence et de propagation. Le Coran en est encore le type le plus accompli. Elle n’a rien acquis, rien perdu depuis ; elle semble s’être pétrifiée ou métallisée sous la plume de roseau de Mahomet.
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