Son premier acte fut de célébrer les funérailles du prophète. Le vieillard Abbas, frère dAboutaleb et oncle de Mahomet, présidait le deuil. On plaça le corps sous un dais. Son fils Ali lui fit, par-dessus ses vêtements, les lotions et les embaumements funèbres. On pria autour du dais, jusquà ce que la nation entière eût passé en revue devant le catafalque. Ali et ses cousins creusèrent ensuite une fosse dans la chambre dAïché, et y couchèrent le corps à la place même quoccupait sa natte pendant ses sommeils, à côté de la natte de sa favorite.
Cette tombe devint une chaire doù retentit le dogme de lunité de Dieu sur lArabie. La mort enleva Mahomet dans toute sa force et avant que la vieillesse eût profané, en les émoussant, aux yeux de ses sectateurs, aucune de ses facultés de corps et de sens, et surtout son éloquence. Il était dans sa soixante-troisième année. A lexception de ces visions extatiques, maladie nerveuse quil se déguisait à lui-même sous le nom dassomption dans le monde des esprits et dentretiens avec les anges, son corps était sain comme son intelligence. La majesté douce de son visage accréditait naturellement autour de lui une supériorité de nature et de prédilection divine sur le vulgaire des hommes. Il avait la taille élevée, la stature imposante que Michel-Ange a donnée, sous son ciseau à Moïse ; moins quun Dieu, plus quun homme, un prophète ! Ses mains et ses pieds, toujours nus, étaient larges, fortement noués de muscles, mordant bien le sable de lorteil, serrant bien le sabre du pouce. Une peau fine, blanche, colorée sur les joues, laissait transpercer le réseau des veines pleines dun sang calme quoique généreux. Sa poitrine, sans poil, respirait à longue haleine. Sa voix, grave et vibrante, y résonnait comme dans tine voûte pleine déchos. Ses yeux étaient noirs, pénétrants, humides souvent de volupté, plus souvent denthousiasme. Sa barbe était noire, rare et sans ondes comme ses cheveux ; sa bouche grande, mais habituellement fermée, semblait également taillée pour sceller les mystères ou pour épancher les inspirations au peuple, comme tous les hommes qui conversent souvent avec le monde supérieur, et qui respectent en eux linstrument de linspiration. Il y avait plus dintelligence que de gaieté dans son sourire. Une gravité compatissante était lexpression habituelle de sa physionomie. Cependant il aimait, comme on la vu, les jeunes gens, les femmes, les enfants, tout ce qui est beau et innocent dans la nature. La beauté régnait sur ses sens, et les voluptés éternelles ne se présentaient à son imagination que sous les traits de femmes. Les anges mêmes de son paradis étaient des apparitions féminines. Ce nest pas lui cependant qui a inventé, comme on la cru, les houris, ces vierges du paradis musulman. Les houris, anges féminins, étaient avant lui tine voluptueuse superstition des Arabes. A lexception de cet invincible attrait vers la beauté dans ses épouses, attrait qui lui fit oublier la sainteté de lunion des sexes dans sa loi, sa vie était sobre, austère, même ascétique, pleine de méditations, de prières, de jeûnes dabstinences, de présence de Dieu, dattention à ses pas, dassistance au temple, dablutions pénibles, de prosternements dans la poussière, de prédications; il naffectait dans ses rapports avec le peuple aucune supériorité que celle de la sainteté prophétique. Rien nannonçait en lui ou autour de lui le souverain ni le conquérant; tout était dun apôtre. Ses vêtements étaient ceux du pauvre: les grossières étoffes de laine de mouton, les ceintures de cordes tressées de poil de chameau ; il rejetait, comme un luxe et comme un orgueil, les turbans de coton blanc des Indes portés par ses guerriers. Il vivait de dattes et du lait de ses brebis, quil ne dédaignait pas de traire lui-même ; il nempruntait que rarement la main de ses esclaves pour les services les plus pénibles de la domesticité ; il allait puiser leau au puits, il balayait et lavait le plancher de sa maison ; assis à terre, sur une natte de paille, il raccommodait lui-même ses sandales et cotisait ses vêtements usés. La propreté du corps, dont il a fait dans son Coran une image de la pureté de lâme, était sa seule délicatesse ; il peignait sa barbe avec soin ; il se teignait en noir les sourcils et les cils ; il se colorait les ongles avec le henné, teinture qui donne un reflet de pourpre aux doigts des pieds et des mains des femmes chez les Arabes.
Il se servait, au lieu de glace ou de miroir, dun seau rempli deau, dans lequel il se regardait pour rouler avec décence les plis de son turban. Il nentassait aucun trésor ; il distribuait tout le produit de la dîme quil avait établie sur les biens et sur les dépouilles entre ses guerriers et les indigents. Il avait fait pour lui-même voeu de pauvreté. Il donnait à garder aux mains et au cour des pauvres tout ce quil recevait, comme à des dépositaires chargés de lui rapporter tout dans le ciel. Les alentours de sa maison, les portiques adjacents de la mosquée, les cours de lédifice étaient un vaste hospice où les pauvres, les veuves, les orphelins, les malades, venaient attendre leur nourriture ou leur guérison. On les appelait les hôtes du banc, parce quils passaient leur vie assis ou couchés sur les bancs de la demeure du prophète. Chaque soir Mahomet les visitait, les consolait, les vêtissait, les nourrissait de son orge ou de ses dattes. Il en amenait tous les jours un certain nombre dans sa maison pour prendre leur repas avec lui. Il distribuait les autres, comme des hôtes de Dieu, chez les plus riches de ses disciples. Sa politesse, avec les hommes de tout condition qui sadressaient à lui, était douce et respectueuse. Il ne se retirait jamais, dit Aboulfèda, la main le premier de la main de ceux qui le saluaient. Il jouait, comme on le raconte dHenri IV, avec les enfants dAli, mari de sa fille Fatimà, à défaut des siens. Un de ces petits enfants dun âge tendre, nommé Hossemn, ayant grimpé sur son dos, pendant quil était prosterné, le front dans la poussière, pour faire sa prière, le prophète resta dans cette attitude, pour complaire à lenfant, jusquà ce que sa mère vînt le délivrer de ce fardeau. Un autre jour quil tenait sur ses genoux, en la caressant, une de ses petites-filles, un Arabe idolâtre du désert le surprit dans ce badinage. « Quest-ce que cette petite brebis que tu caresses ainsi de tes lèvres ? ô prophète ! lui dit avec une rude plaisanterie le barbare ; jen ai eu beaucoup chez moi de ces brebis-là, mais je les ai toutes enterrées vivantes sans jamais les effleurer de mes lèvres . - Misérable ! lui dit Mahomet révolté de cet infâme pratique des Bédouins pour leurs filles, il faut que ton cour ait été privé de tout sentiment de la nature ! Tu ne connais pas la plus douce jouissance quil ait été donné à lhomme déprouver ! Il disait souvent «Les choses de ce monde qui flattent le plus mon cour et mes sens sont les enfants, les femmes et les parfums; mais je nai jamais goûté de félicité complète que dans la prière. » II consacra les droits de propriété aux femmes, jusque-là déshéritées de tout droit et de toute possession delles-mêmes dans la communauté conjugale. Il légua les veuves aux enfants. «Un fils, dit le Coran, gagne le paradis aux pieds de sa mère ! » Son troupeau de chameaux et son troupeau de brebis, son seul héritage, devient à sa mort propriété commune à la charge par le trésor public de faire une pension alimentaire à ses veuves et à ses serviteurs. « Un prophète, dit-il, ne laisse point dhéritage à sa famille sur la terre. Ses biens appartiennent à sa nation !
|