La Vie de Mahomet

(Alphonse de Lamartine, 1854)

Livre 1 - Chapitre 39

L’indignation s’accrut ; les grands s’assemblèrent de nouveau à la voix du peuple. Ils sommèrent encore avec respect, mais avec plus de force, Aboutaleb de retirer sa protection à son neveu : «Nous respectons ton âge, ta noblesse, ton rang, lui dirent les orateurs ; mais ce respect à des bornes ; nous t’avons prié de fermer la bouche au fils de ton frère, tu ne l’as pas fait ; nous ne pouvons souffrir impunément les blasphèmes qu’il profère publiquement contre nos dieux ; contrains-le donc à se taire, ou nous lèverons la main contre lui et contre toi-même ; nous nous combattrons jusqu’à l’extermination de l’un ou de l’autre parti! » Aboutaleb, redoutant les malheurs qui allaient affliger le peuple par la guerre religieuse que l’obstination de son neveu allait provoquer, pria les députés d’attendre, et envoya appeler Mahomet : « Évite donc, lui dit-il devant eux, d’un ton de reproche et de douleur paternel, d’attirer sur toi et sur les tiens les calamités qui nous menacent ! – Ô mon oncle ! répondit avec une triste fermeté Mahomet, je voudrais pouvoir t’obéir sans crime ; mais, quand on ferait descendre le soleil à ma droite et la lune à ma gauche pour roe forcer au silence, et que d’un autre côté on me présenterait la mort face à face pour m’intimider, je ne renoncerais pas à l’ouvre qu’il m’est ordonné de tenter. » En disant ces mots il pleura de regret de ne pouvoir complaire à son oncle et d’être inévitablement rejeté par lui. Il fit quelques pas pour sortir de l’assemblée, mais Aboutaleb, attendri par sa physionomie et édifié par sa conviction: « Reviens, lui dit-il, fils de mon frère ! » Mahomet se rapprocha. «Eh bien, lui dit son oncle, prophétise ce que tu voudras, jamais, je le jure ici devant toi comme devant tes accusateurs, je ne te livrerai à tes ennemis.» Enfin les grands, espérant désintéresser le vieillard Aboutaleb en lui donnant un autre fils d’adoption en échange de Mahomet, lui amenèrent le plus beau et le plus accompli des adolescents de la Mecque, Omara, fils de Walid, et lui dirent : « Prends-le pour ton fils, et livre-nous Mahomet. » Aboutaleb repoussa avec indignation ce commerce de son cour. «Non, non, jamais, leur dit-il, je ne vous laisserai tuer le fils de mon frère. » Les proches et les clients d’Aboutaleb, convoqués par lui, s’assemblèrent à leur tour ; et, quoique étrangers pour la plupart à la nouvelle religion, ils jugèrent par la religion du sang qu’ils ne permettraient pas au parti dominant de frapper Mahomet, qui était leur parent et leur protégé naturel. Ce refus d’Aboutaleb et cette protection déclarée de sa puissante maison réduisirent pour un temps les ennemis de Mahomet à l’inaction et à la ruse.
Livre 1:
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30
31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47 48 49 50 51 52 53 54 55 56 57 58 59 60
61 62 63 64 65 66 67 68 69 70 71 72 73 74 75 76 77 78 79 80 81 82 83 84 85 86 87 88 89 90
91 92 93 94 95 96 97 98 99 100 101 102 103 104 105 106 107
Livre 2:
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20

Achetez le texte intégral avec les notes et commentaires d'Ali Kuhran (éditions L'Harmattan)