Lindignation saccrut ; les grands sassemblèrent de nouveau à la voix du peuple. Ils sommèrent encore avec respect, mais avec plus de force, Aboutaleb de retirer sa protection à son neveu : «Nous respectons ton âge, ta noblesse, ton rang, lui dirent les orateurs ; mais ce respect à des bornes ; nous tavons prié de fermer la bouche au fils de ton frère, tu ne las pas fait ; nous ne pouvons souffrir impunément les blasphèmes quil profère publiquement contre nos dieux ; contrains-le donc à se taire, ou nous lèverons la main contre lui et contre toi-même ; nous nous combattrons jusquà lextermination de lun ou de lautre parti! » Aboutaleb, redoutant les malheurs qui allaient affliger le peuple par la guerre religieuse que lobstination de son neveu allait provoquer, pria les députés dattendre, et envoya appeler Mahomet : « Évite donc, lui dit-il devant eux, dun ton de reproche et de douleur paternel, dattirer sur toi et sur les tiens les calamités qui nous menacent ! Ô mon oncle ! répondit avec une triste fermeté Mahomet, je voudrais pouvoir tobéir sans crime ; mais, quand on ferait descendre le soleil à ma droite et la lune à ma gauche pour roe forcer au silence, et que dun autre côté on me présenterait la mort face à face pour mintimider, je ne renoncerais pas à louvre quil mest ordonné de tenter. » En disant ces mots il pleura de regret de ne pouvoir complaire à son oncle et dêtre inévitablement rejeté par lui. Il fit quelques pas pour sortir de lassemblée, mais Aboutaleb, attendri par sa physionomie et édifié par sa conviction: « Reviens, lui dit-il, fils de mon frère ! » Mahomet se rapprocha. «Eh bien, lui dit son oncle, prophétise ce que tu voudras, jamais, je le jure ici devant toi comme devant tes accusateurs, je ne te livrerai à tes ennemis.» Enfin les grands, espérant désintéresser le vieillard Aboutaleb en lui donnant un autre fils dadoption en échange de Mahomet, lui amenèrent le plus beau et le plus accompli des adolescents de la Mecque, Omara, fils de Walid, et lui dirent : « Prends-le pour ton fils, et livre-nous Mahomet. » Aboutaleb repoussa avec indignation ce commerce de son cour. «Non, non, jamais, leur dit-il, je ne vous laisserai tuer le fils de mon frère. » Les proches et les clients dAboutaleb, convoqués par lui, sassemblèrent à leur tour ; et, quoique étrangers pour la plupart à la nouvelle religion, ils jugèrent par la religion du sang quils ne permettraient pas au parti dominant de frapper Mahomet, qui était leur parent et leur protégé naturel. Ce refus dAboutaleb et cette protection déclarée de sa puissante maison réduisirent pour un temps les ennemis de Mahomet à linaction et à la ruse.
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