La Vie de Mahomet

(Alphonse de Lamartine, 1854)

Livre 1 - Chapitre 36

Il eut l’habile politique de désintéresser d’abord le peuple et les grandes familles des Coraïtes des privilèges, des bénéfices et de la dignité qui s’attachaient à la possession du temple et au concours des pèlerins. Peu importait à la cause de l’unité de Dieu que l’on respectât dans le culte nouveau la tradition qui attribuait la fondation de la Kaaba à Abraham, que l’on conservât de la vénération pour ce souvenir et que l’habitude des pèlerinages fût conservée en Arabie, pourvu que les fausses divinités en fussent bannies. Mahomet, qui croyait fermement lui-même à la tradition d’Abraham et à la religion pure de ce patriarche, maintint la vénération de la Kaaba, le pèlerinage, les cérémonies, le concours des caravanes de la Mecque pendant le mois sacré. Il lui suffisait de changer l’idole en Dieu. Il savait, comme tous les réformateurs, qu’il ne faut pas déraciner inutilement, mais greffer, autant qu’on le peut, la sève nouvelle sur le vieil arbre. Les racines de l’erreur portant ainsi plus vite et plus sûrement des fruits de vérité. Après ces précautions commandées par la sagesse humaine à toutes les révolutions de dogmes, de sociétés ou d’empires, il se sentit enfin pressé par ses voix intimes de laisser éclater sa mission. Elle n’était déjà plus un secret, elle était seulement une confidence presque générale dans la Mecque. Le zèle de ses disciples en formait une rumeur sourde mais croissante, que le mystère ne pouvait plus contenir. Il réunit ses parents, au nombre de quarante, à un festin dans la cour de sa maison, selon la coutume des grands conseils qui précédaient les grandes résolutions parmi les Arabes. C’étaient tous les fils et descendants de son oncle et de son père adoptif Aboutaleb. Le festin, sobre comme la vie du désert, ne se composait que d’un quartier de mouton et de riz. Mahomet y suppléa par la nourriture de l’âme ; il entretint ses convives avec tant d’inspiration et de persuasion, qu’ils se sentirent rassasiés par ses paroles. Ces esprits simples, étonnés de se sentir satisfaits devant la médiocrité d’un tel festin, attribuèrent même à la magie des esprits infernaux ce charme et ce rassasiement qui n’était en eux que la magie de la parole. Ils se retirèrent inquiets en s’interrogeant les uns et les autres et en se promettant de ne pas revenir s’exposer à ces enchantements suspects.
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