Il eut lhabile politique de désintéresser dabord le peuple et les grandes familles des Coraïtes des privilèges, des bénéfices et de la dignité qui sattachaient à la possession du temple et au concours des pèlerins. Peu importait à la cause de lunité de Dieu que lon respectât dans le culte nouveau la tradition qui attribuait la fondation de la Kaaba à Abraham, que lon conservât de la vénération pour ce souvenir et que lhabitude des pèlerinages fût conservée en Arabie, pourvu que les fausses divinités en fussent bannies. Mahomet, qui croyait fermement lui-même à la tradition dAbraham et à la religion pure de ce patriarche, maintint la vénération de la Kaaba, le pèlerinage, les cérémonies, le concours des caravanes de la Mecque pendant le mois sacré. Il lui suffisait de changer lidole en Dieu. Il savait, comme tous les réformateurs, quil ne faut pas déraciner inutilement, mais greffer, autant quon le peut, la sève nouvelle sur le vieil arbre. Les racines de lerreur portant ainsi plus vite et plus sûrement des fruits de vérité. Après ces précautions commandées par la sagesse humaine à toutes les révolutions de dogmes, de sociétés ou dempires, il se sentit enfin pressé par ses voix intimes de laisser éclater sa mission. Elle nétait déjà plus un secret, elle était seulement une confidence presque générale dans la Mecque. Le zèle de ses disciples en formait une rumeur sourde mais croissante, que le mystère ne pouvait plus contenir. Il réunit ses parents, au nombre de quarante, à un festin dans la cour de sa maison, selon la coutume des grands conseils qui précédaient les grandes résolutions parmi les Arabes. Cétaient tous les fils et descendants de son oncle et de son père adoptif Aboutaleb. Le festin, sobre comme la vie du désert, ne se composait que dun quartier de mouton et de riz. Mahomet y suppléa par la nourriture de lâme ; il entretint ses convives avec tant dinspiration et de persuasion, quils se sentirent rassasiés par ses paroles. Ces esprits simples, étonnés de se sentir satisfaits devant la médiocrité dun tel festin, attribuèrent même à la magie des esprits infernaux ce charme et ce rassasiement qui nétait en eux que la magie de la parole. Ils se retirèrent inquiets en sinterrogeant les uns et les autres et en se promettant de ne pas revenir sexposer à ces enchantements suspects.
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