La Vie de Mahomet

(Alphonse de Lamartine, 1854)

Livre 1 - Chapitre 24

Quoi qu’il en soit, Mahomet, brûlant de visiter les pays inconnus d’où les doctrines hébraïques et chrétiennes transpiraient avec tant d’attraits pour son âme jusque dans le désert, accepta avec reconnaissance l’offre de Kadidjé. Elle le plaça au commencement sous la surveillance et sous les conseils d’un de ses serviteurs plus rempli d’années et d’expérience, nommé Mayçara. Ils partirent ensemble, ils conduisirent heureusement les caravanes de Kadidjé à Damas, à Alep, à Antioche, à Jérusalem, à Palmyre, à Baalbeck, et dans toutes les villes opulentes de la Syrie arabe ou romaine. Ils y vendirent à hauts prix les tissus et les perles de l’Inde dont Kadidjé avait chargé ses chameaux. Ils les chargèrent au retour des objets les plus recherchés par les Arabes qui venaient à l’époque du pèlerinage approvisionner leurs tentes à la Mecque. Cet échange produisit de nouveaux trésors à Kadidjé, Mayçara, son domestique affidé, qu’elle interrogea sur la conduite de Mahomet, lui parla de son jeune compagnon comme d’un être béni de Dieu, que les anges protégeaient en route de leurs ailes contre les ardeurs du soleil. Il raconta à sa maîtresse que Mahomet s’était arrêté au pied d’un monastère chrétien dont le supérieur, ami déjà du jeune homme, avait été, comme lui, témoin de cette protection divine qui lui donnait l’ombre à volonté. Ce moine, ajoutait Mayçara, présageait de grandes destinées à ce jeune homme. Il serait, disait le moine, l’apôtre de l’Arabie . Ces paroles du moine chrétien au serviteur de Kadidjé attestent assez que Djerdjis et Mahomet s’étaient entretenus des choses saintes, et que le moine, charmé des dispositions de son prosélyte, avait cru voir et avait annoncé en lui à ses compatriotes le propagateur du christianisme dans le désert. Quant à Mahomet lui-même, il était plus occupé des vérités religieuses qu’il avait recueillies dans ses voyages que de la part des trésors qu’il rapportait à sa maîtresse. Kadidjé, cependant, ne trouvait plus cette part suffisante à sa reconnaissance. Les mérites, les services, les vertus précoces de son jeune serviteur, avaient changé son estime pour Mahomet en inclinaison et en admiration. Les prophéties du moine chrétien ajoutaient à son amour ce prestige qui est le pressentiment de la gloire. Devenir l’épouse de celui en qui le ciel annonçait on ne sait quoi de divin paraissait à la jeune veuve une association à la divinité d’un être surnaturel. L’amour aidait au prodige et le prodige à l’amour.
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