La Vie de Mahomet

(Alphonse de Lamartine, 1854)

Livre 1 - Chapitre 74

Ces dévouements avaient rallié autour du général assez de musulmans pour le préserver de tomber entre les mains de ses ennemis et pour refouler les Coraïtes. Mais le bruit de sa chute de cheval et de sa mort s’était répandu dans les restes de son armée et consternait ses fidèles. Aboubekre, Al Omar, Othman, séparés de lui par la mêlée et groupés sur une éminence, s’entretenaient avec larmes de la perte de leur maître. Un jeune Médinois, fils de Nadhir, les aperçoit : « Que faites-vous là immobiles ? leur crie-t-il. - Mahomet n’existe plus, répondent-ils. Pour qui combattre ? - Eh bien, reprend le fils de Nadhir, s’il est mort, n’est-il pas honteux de survivre ? Venez, mourir comme lui ! ». Ils se jettent de nouveau dans la mêlée pour unir leur sang à celui du prophète. Ils le trouvent vivant, lui font jour à travers la cavalerie ennemie et se replient dans l’étroit défilé du mont Ohud. Mahomet, le sang de ses blessures étanché, remonte à cheval, se retourne à l’embouchure du défilé et tue d’un coup de lance dans la gorge le premier Cordite qui tente de le franchir. Les musulmans, ranimés par sa présence et couverts par son bras, se rallient sur les deux flancs de la montagne. L’ennemi les y insulte sans oser les aborder. Ah va chercher dans le creux de son bouclier de l’eau découverte dans une coupe naturelle du rocher, pour laver le sang et la poussière qui souillent le visage de son second père. Pendant cette trêve, Hind et les femmes des Coraïtes vainqueurs se répandent comme des furies sur le champ de bataille pour y assouvir la vengeance jurée aux mânes de leurs pères et de leurs maris. Soixante-dix cadavres de musulmans jonchaient la terre, elles les dépouillent et les mutilent. La féroce guerrière Hind cherchait le corps de Hamza, le meurtrier de son père, tué à son tour par la flèche de l’esclave nègre Wahchi. Elle le découvre, se précipite sur le cadavre, lui ouvre les flancs d’un coup de sabre, lui arrache le cour et le déchire entre ses dents. Puis, détachant de son propre sein et de ses jambes les colliers et les bracelets dont ils étaient ornés, elle les donne à l’esclave noir et se fait à elle- même un collier et des bracelets avec les oreilles des morts.
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