La Vie de Mahomet

(Alphonse de Lamartine, 1854)

Livre 1 - Chapitre 86

Les nombreux sectateurs qu’il avait maintenant à la Mecque et que la crainte empêchait encore de se déclarer le sollicitaient de venir enfin les affranchir de leur servitude morale ; d’un autre côté, le désir de relever la confiance de ses troupes, abattues par le dernier revers, lui commandaient une conquête trop longtemps suspendue. Il n’avait plus à redouter une résistance désespérée des Coraïtes «ou Coréischites». Il marcha à la tête de vingt mille guerriers vers la Mecque, résolu d’y planter enfin son drapeau. A son approche, tout chancela dans les cours. Un de ses oncles, fils d’Abdelmotaleb, nommé Abbas, accourut au-devant de lui avec tous les siens et se déclara son disciple. Abbas lui servit de parlementaire avec ses compatriotes. Abou-Sofyan, général le plus accrédité dans la Mecque, hésitait encore. Abbas, par l’ordre de Mahomet, le flatta et lui conféra le droit de protéger tous ceux des ennemis du prophète qui chercheraient asile dans sa maison. Abbas plaça ensuite Abou-Sofyan sur une éminence d’où il pouvait voir défiler l’armée conquérante. Abou-Sofian se sentait écrasé du nombre des guerriers et de l’éclat de leurs armes. « Quels sont, dit-il à Abbas, ces hommes tellement bardés de fer qu’on ne voit que leurs yeux à travers la visière du casque ? - C’est Mahomet et sa garde, répondit Abbas. - Ah ! reprit Abou-Sofyan, en vérité la royauté du fils de ton frère est majestueuse ! - La royauté repartit Abbas, que dis-tu là ? As-tu oublié que le fils de mon frère n’est pas tin roi, mais tin prophète ? - C’est vrai, » dit le guerrier coraïte en se reprenant ; et il rentra dans la ville pour persuader à ses compatriotes qu’il était insensé de combattre contre cette force qu’il croyait surhumaine. Mahomet divisa son armée en quatre corps et désigna des chefs pour les commander sous lui. Un de ses lieutenants s’étant écrié : « Gloire au prophète, c’est enfin aujourd’hui le jour du carnage ! » Mahomet, qui ne voulait point de sang sur son triomphe, le destitua à l’instant et nomma tin autre commandant. Il rentra dans la ville’ monté sur son chameau, ayant en croupe derrière lui l’enfant de son martyr Sayd, tué dans la dernière campagne. Aboubekre et Oçayd, ses lieutenants, étaient à cheval à côté de lui; sa garde, masquée de fer, le précédait et le suivait comme un nuage sombre. Il portait sur sa tête un turban noir, signe de terreur qu’il n’avait jamais ceint jusqu’à ce jour. Il se fit dresser sa tente sur une éminence d’où il dominait la ville entière.
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