La sépulture terminée, il sapprocha de la citerne recouverte de sable, et, apostrophant ses ennemis morts par leurs noms: « Toi ! dit-il, et toi ! et toi et toi ! en les nommant tous, indignes concitoyens dun prophète ! vous mavez accusé dimposture, dautres ont cru à ma mission Vous mavez chassé de ma patrie, dautres mont donné un asile ! Vous vous êtes armés contre moi, dautres se sont armés pour ma cause ! Dieu a-t-il menti par ma bouche dans les menaces que je vous avais faites en son nom ? Dieu a-t-il menti dans les promesses quil ma faites ? Dites ! »
Ses soldats étonnés se regardaient lun lautre. « Eh quoi! prophète, lui dirent-ils, tu adresses la parole à des morts ? - Sachez-le, répondit-il, quils mentendent aussi bien que vous mentendez ! »Parmi les prisonniers, Mahomet comptait son oncle Abbas, fils dAbdelmotaleb, son père adoptif. La nuit qui suivit la victoire, Mahomet ne pouvait goûter le sommeil. «Quas-tu qui tempêche de reposer? lui demanda- t-on. - Cest, répondit-il que jentends mon oncle Abbas se plaindre dans ses entraves ! » On courut délier Abbas, et le prophète sendormit. Son retour à Médine fut un triomphe. La victoire avait ratifié en lui le don de linspiration. Le peuple avait deux fois au lieu dune. Mais la douleur du père empoisonna la joie du guerrier. En entrant à Médine on lui apprit la mort de sa fille Rocaya, mariée à Othmnan. Il la pleura en homme et non en dieu. Ses larmes namollirent pas sa vengeance contre quelques-uns des prisonniers, ses ennemis personnels. Lhumanité quil avait montrée sur le champ de bataille après la victoire céda en lui à ce ressentiment du proscrit, le plus amer des ressentiments politiques ; et au ressentiment de linspiré contre lincrédulité de sa mission, le plus cruel des ressentiments religieux. Il fit trancher la tête à un des Coraïtes de qui il avait reçu à la Mecque les plus poignants outrages. «Qui recueillera mes pauvres enfants ? lui dit le condamné sous le glaive. - Le feu de lenfer,» lui répliqua Mahomet. Le surnom dEnfant du feu en resta aux fils de cette tribu. Jusque-là, Mahomet ne sétait reconnu à lui-même que le droit de prêcher le Dieu unique; dès lors il sattribua le droit de frapper en son nom, et il vit, comme tous les sectaires, des ennemis de Dieu dans les siens. De prophète, il se fit, ce jour- là, exterminateur. Cependant ces crimes sans pitié furent rares dans sa vie. «La nature, disait-il, navait pas pétri son cour de haine.» La haine, en effet, pour lui, neût été ni divine ni politique. Dans le conseil tenu à Médine sur le massacre ou sur le pardon des vaincus, il se déclara contre ses lieutenants pour lindulgence. On verra bientôt cette magnanimité lui conquérir plus de partisans que la gloire.
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