La Vie de Mahomet

(Alphonse de Lamartine, 1854)

Livre 1 - Chapitre 61

Pendant ce temps, les assassins apostés pour tuer Mahomet à sa sortie, le matin, de sa maison, s’entretenaient à voix basse sur le seuil. Les uns prétendaient qu’il les avait trompés et qu’il n’était plus dans sa maison ; d’autres, regardant par une fente de la porte et voyant un homme enveloppé du manteau vert de Mahomet endormi sur sa natte, ne doutaient pas de tenir leur victime à son réveil.

Cependant l’aurore se lève, Ali secoue son manteau et ouvre la porte. Les meurtriers consternés croient reconnaître dans cette substitution une intervention divine. Le bruit de l’évasion de Mahomet se propage dans la ville. Ses ennemis se répandent sur toutes les routes pour l’atteindre. Quelques- uns de ses persécuteurs montent jusqu’à la caverne de Thour. Mais, en voyant un nid de colombe suspendu à l’entrée et une toile d’araignée intacte qui flottait sur l’ouverture de la grotte, ils sont convaincus qu’aucun homme n’y a pénétré de longtemps, et ils s’éloignent. Mahomet et Aboubekre avaient eu la prudence de respecter le nid et de soulever la toile au lieu de la déchirer. ils passent trois jours et trois nuits dans cet asile en attendant le guide et les chamelles. Esmà, fille d’Aboubekre et sour d’Aïché, leur envoyait, la nuit, du lait et des dattes. Aïché et la femme plus âgée du prophète avaient été laissé par lui dans sa maison. Le seuil des Arabes était toujours inviolable pour les femmes. La troisième nuit, Esmà elle-même amena le guide et les chamelles à la grotte. Mahomet monta sur la première ; Aboubekre, après avoir embrassé sa fille Esmà, monta sur la seconde et fit monter son affranchi Amir derrière lui. Les fugitifs, pour désorienter les poursuites, descendent vers la mer au lieu de couper l’isthme par les montagnes, et suivent la plage qui contournait de loin le territoire d’Yathreb. Reconnus par un guerrier coraïte nommé Soracà, en traversant une tribu maritime, ils pressent le pas de leurs chamelles. Soracà monte à cheval et les poursuit, la lance à la main, pour gagner le prix qu’on a mis à leurs têtes. Aboubekre se trouble et veut descendre pour combattre à pied. «Ne crains rien, dit son compagnon, Dieu nous protège.» Au moment où Soracà va les atteindre, sa jument s’abat et roule avec son cavalier dans le sable. Soracà se relève, remonte sa jument et reprend sa course ; la jument s’abat une seconde fois. Son maître remonte encore en selle, galope derrière les proscrits et leur crie « Arrêtez, je jure que vous n’avez rien à redouter de moi ! - Que veux-tu donc de nous? dit Aboubekre. - Je demande seulement reprend le guerrier, que Mahomet me remette un mot de sa main, me reconnaissant pour un de ses disciples. » Aboubekre, qui n’avait aucune feuille de palmier pour écrire ce témoignage de conversion instantanée de Soracà, ramasse sur le sable un morceau d’os poli et blanchi au soleil. Mahomet y écrivit la profession de foi du Coraïte. Soracà plaça l’os dans son carquois et regagna sa tribu, sans rien dire de sa course, de sa chute et de sa conversion. Cet os écrit par le prophète, et représenté plus tard à Mahomet quand il rentra vainqueur à la Mecque, fut la sauvegarde du nouveau converti.
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