La Vie de Mahomet

(Alphonse de Lamartine, 1854)

Livre 1 - Chapitre 102

Son mal s’aggravait ; l’insomnie agitait ses nuits; il était plongé dans cette mélancolie qui affaisse les grandes âmes quand le ressort tendu par l’action ou par la pensée n’a plus rien à porter. Une nuit qu’il était couché dans la chambre d’Aïché1, il se leva sans qu’elle s’en aperçût et se rendit seul hors des murs au cimetière des musulmans de Médine «Salut ! dit-il, habitants des tombeaux Reposez en paix à l’abri des épreuves qui attendent vos frères ! » Il pria jusqu’à l’aurore, d’une tombe à l’autre, pour les âmes de ses disciples et de ses guerriers ensevelis. Une fièvre ardente le consumait quand il rentra chez Aïché. Aïché elle-même se sentait malade, elle se plaignit de sa langueur à son mari. «Ah ! dit-il ce serait bien plus encore à moi de me plaindre » Puis, mêlant, dans ses consolations à sa jeune épouse, la tendresse à un mélancolique enjouement. «Aiche ! lui dit-il (d’après ce qu’elle raconte), n’éprouverais- tu pas une certaine consolation de mourir avant que je quitte moi-même cette terre, et de penser que ce serait moi qui t’envelopperais de mes propres mains dans ton linceul, qui prierais sur toi et qui te coucherais dans ta tombe ? - Oui, répondit en souriant et en réfléchissant la jalouse Aïché, j’aimerais assez cette perspective, si je ne pensais pas qu’au retour de ma sépulture, tu viendrais peut-être te consoler de m’avoir perdue auprès de Maria ou de quelque autre de tes femmes ! » Mahomet sourit de l’épigramme et du badinage de sa favorite. La fièvre ne lui enlevait pas son énergie. Un Arabe, qui voulait rivaliser avec lui et qui embauchait quelques sectateurs, osa lui envoyer des ambassadeurs porteurs d’un message. Il répondit par une lettre de mépris ainsi conçue Mahomet, l’apôtre de dieu, à Mosseïlmah l’imposteur Salut à ceux-là seulement qui marchent droit ! La terre n’est ni à moi ni à toi, elle est à Dieu ; il la donne à qui il lui plaît Ceux-là seuls prospèrent qui craignent le Seigneur ! » Ces révoltes, entées sur la jalousie, furent étouffés en un moment. En même temps, il organisa une expédition formidable contre les Arabes et les Romains de la Syrie, et il en donna le commandement, de préférence à tous ses généraux, à un jeune homme de vingt ans, nommé Ouçamàm. On murmurait. «Obéissez, dit-il à ses vieux guerriers, je connais ce jeune homme pour le plus digne ! »
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