La Vie de Mahomet

(Alphonse de Lamartine, 1854)

Livre 1 - Chapitre 46

La négociation, rompue ce jour-là, fut reprise le lendemain entre Mahomet et les mêmes hommes politiques de la tribu. On enchérit encore sur les offres qu’on lui avait faites pour acheter au moins son silence. «Ecoutez, dit Mahomet, je ne suis pas ce que vous croyez: je ne suis ni un homme avide des biens terrestres, ni un ambitieux altéré de pouvoir, ni un malade possédé d’un esprit convulsif, je suis un organe de Dieu, Allah (c’était déjà en Arabie, le nom du Dieu de l’infini, le Dieu sans images), qui m’a inspiré un Coran, une écriture, un livre, et qui m’a ordonné de vous enseigner ses récompenses ou les peines qui suivent les actes bons ou mauvais des hommes. Je vous transmets les paroles que Dieu me fait entendre ; je vous avertis, je vous préviens; si vous recevez ce que je vous apporte, ce sera votre félicité dans ce monde et dans la vie future ; si vous rejetez mes enseignements, je prendrai patience, j’attendrai que Dieu prononce entre vous et moi !I Ces paroles les émurent, et cette confiance les ébranla. «Eh bien, Mahomet, lui dirent-ils à demi convaincus, mais voulant, comme des hommes charnels, des témoignages charnels des vérités de l’esprit, donnes-nous, si tu dis vrai, des preuves de ta mission: notre vallée de la Mecque est étroite et aride, élargis-la en écartant ces montagnes qui l’enserrent, fais-y couler un fleuve pareil aux eaux courantes de l’Irak ou de la Syrie, ou, tout au moins, fais sortir de ces sépulcres quelqu’un de nos ancêtres endormis dans la terre, par exemple notre aïeul Cossay, fils de Kilab, cet homme dont la parole avait l’autorité des lois, qu’il se lève, qu’il nous parle, qu’il nous dise de te reconnaître pour notre prophète, et nous te reconnaîtrons à sa voix Dieu, leur répondit Mahomet, ne m’a pas délégué pour de telles oeuvres; il m’a suscité simplement pour vous annoncer les vérités sur votre salut - Au moins, dirent-ils, que Dieu nous fasse apparaître un de ses anges pour nous commander de croire en toi! ou qu’il te dispense de venir, comme le moindre d’entre-nous, acheter au marché le riz et les dattes nécessaires à ta subsistance du jour et dont tu te nourris comme nous! - Non, dit Mahomet, je me garderai bien de demander à mon Dieu de tels privilèges. Mon unique mission et des vous convertir à lui - Eh bien ! que ton Dieu fasse donc écrouler sur nous son firmament, comme tu dis qu’il est en sa puissance de le faire, car nous ne croirons pas en toi ! Tout ce que tu annonces ne vient pas même de toi ; ces choses t’ont été apprises par un certain Erramàn, natif du Iemanà ! Apprends que nous défendrons jusqu’à la mort notre religion; il faudra que les armes décident entre ton parti et le nôtre ! » Cet Erramàn, à qui les Arabes attribuaient les doctrines de Mahomet, était un des noms sous lesquels Dieu était désigné dans le Coran ; on supposait aussi que Mahomet recevait des leçons de cet orfèvre chrétien de la Mecque qui passait pour l’inspirateur caché d’une religion semblable au christianisme, et qui ordonnait déjà de vénérer le Christ comme le plus divin des révélateurs, le Prophète des prophètes, le Verbe de Dieu.
Livre 1:
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30
31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47 48 49 50 51 52 53 54 55 56 57 58 59 60
61 62 63 64 65 66 67 68 69 70 71 72 73 74 75 76 77 78 79 80 81 82 83 84 85 86 87 88 89 90
91 92 93 94 95 96 97 98 99 100 101 102 103 104 105 106 107
Livre 2:
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20

Achetez le texte intégral avec les notes et commentaires d'Ali Kuhran (éditions L'Harmattan)