Les historiens arabes comptent trente-six mille villes, châteaux, villages ou tribus tombés déjà à cette époque sous la domination dOmar. Son orgueil ne senfla pas de tant de succès de ses armes. Il conquérait pour Allah, non pour sa propre gloire. Un satrape persan étant venu à Médine vers ce temps, et sattendant à trouver autour du khalife léclat qui entourait les rois de Perse, fut confondu détonnement quand on lui montra Omar endormi sur le parvis extérieur de la mosquée au milieu des pauvres de la ville. Pendant ce temps, Amrou, son lieutenant, lui conquérait lEgypte ; Memphis et Alexandrie tombaient en son pouvoir. Les habitants du pays, assouplis à la docilité desprit par la servitude, et accoutumés à changer de Dieu en changeant de maîtres, adoptèrent en masse le dogme des musulmans. Omar, consulté, dit-on, par Amrou sur ce quil fallait faire de la bibliothèque dAlexandrie, trésor intellectuel du monde, répondit à son lieutenant quil fallait les livrer aux flammes. «Sils contiennent les mêmes choses que le Coran, ces livres sont inutiles, dit le khalife: et, sils contiennent des choses contraires au Coran, ils sont funestes ! » Amrou, si lon en croit quelques chroniqueurs obscurs, aurait choisi en barbare à lordre dun fanatique. Oman, plus impitoyable ce jour-là envers les idées quenvers les hommes, aurait donc voulu, comme tous les novateurs armés de la force, que toute pensée humaine datât de la pensée de Mahomet. Cest ce crime contre lintelligence qui fit oublier aux historiens futurs sa mansuétude envers les chrétiens. Omar fut victime dun jugement ingénieux dans la forme, inique dans le fond, quil rendit lui-même à Médine. Un esclave persan de lArabe Mogaïrah, nommé Firouz, vint un jour se plaindre à lui de ce que son maître lui imposait un tribut de deux pièces dargent par jour, et de ce quil ne pouvait avec le reste du salaire de son travail quotidien, nourrir sa famille. « Combien fais-tu de métiers ? demanda le khalife à lesclave. Trois, répondit Firouz: le métier de charpentier, celui darchitecte et celui de sculpteur. - Eh bien, lui dit Omar, la somme quon te fait payer ne me paraît pas excessive, puisque tu vaux trois hommes ; on pourrait exiger de toi trois pièces dargent par journée. Moi-même, ajouta-t- il, je temploierai, si tu veux, à construire un moulin à vent pour moudre les grains des greniers publics ». Lesclave, révolté de cette injustice, lui dit, en se retirant avec des murmures qui grondaient dans son cour comme un tonnerre intérieur : « Sois tranquille, je te construirai un moulin dont il sera parlé sur la terre, tant que la roue du firmament tournera sur la tête des hommes. «- Que dit cet homme ? demanda Omar; il me semble que le son de sa voix est une menace à ma vie ! ». Lesclave, en effet, rentrant dans sa maison, sarme dun ciseau aiguisé pour sa profession, et, épiant le khalife au moment où il était presque seul sur la place, lui plongea le fer dans le sein ; puis, frappant du même fer sanglant ceux qui venaient au secours du khalife, et les étendant morts à ses pieds, il se frappa enfin lui-même, et mourut vengé sur le corps de son oppresseur.
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