La Vie de Mahomet

(Alphonse de Lamartine, 1854)

Livre 1 - Chapitre 18

Le moine Djerdjis, contemplant du haut des terrasses de son monastère le campement de la caravane dans la vallée sous les murs, remarqua la beauté d’un enfant assis à terre et que de légers nuages flottants, comme des parasols dans le ciel de feu, semblaient ombrager d’eux-mêmes contre l’ardeur du soleil. Soit attrait naturel pour cette belle enfance, soit désir de s’entretenir de la patrie avec des compatriotes, le moine envoya offrir en son nom, l’hospitalité aux chefs de la caravane. Ils montèrent au couvent, mais ils n’osèrent pas, à cause de son âge, amener Mahomet avec eux. Quand ils furent assis devant le repas qu’on leur avait servi, le moine Djerdjis s’aperçut de l’absence de l’enfant, et demanda qu’on le fit monter. Comme Aboutaleb s’excusait sur sa jeunesse: «Oui, oui, s’écria un des Arabes de sa suite en se levant pour aller chercher l’orphelin, le petit-fils d’Abdelmotaleb est digne, quel que soit son âge, de participer à l’honneur que tu nous fais ! »

Le moine Djerdjis l’accueillit avec tendresse. Sa foi chrétienne n’avait pas entièrement effacé en lui les crédulités nationales de sa race. Il aperçut un signe au-dessous du cou, entre les deux épaules de Mahomet, signe que les Arabes considèrent comme l’augure des hautes destinées. Il adressa un grand nombre de questions à l’enfant, et s’étonna de la justesse et de la force des réponses. La caravane fut une longue halte sous les murs de ce couvent hospitalier. Le moine profita sans doute de ces entretiens avec le fils d’une race illustre pour semer dans cette tendre et fertile intelligence les germes d’une foi plus intellectuelle et plus pure que les grossières superstitions de la Mecque. Il se fia au temps et à l’intelligence précoce de l’enfant pour les mûrir. Quand Aboutaleb se remit en route, Djerdjis lui dit d’un ton à la fois prophétique et paternel «Va ! ramène après ton voyage ton neveu dans sa patrie veille avec sollicitude sur lui, et surtout préserve-le des Juifs S’ils venaient à découvrir en lui certains indices que j’ai moi- même découverts, ils ne manqueraient pas de former quelques complots contre sa vie ; apprends seulement que l’avenir réserve de grandes choses au fils de ton frère ! » Tous les historiens arabes s’accordent dans le récit de cette première entrevue et d’autres entrevues renouvelées plus tard, entre le jeune Arabe et le moine chrétien du couvent de Syrie. C’est le point de départ des pensées comme de la mission future du prophète de l’Arabie. Le Coran fut évidemment dans son esprit la végétation de cette semence de I’Evangile jetée en passant par le vent du désert dans son âme.
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