Mahomet, honteux de son inertie de deux années, sortit enfin de Médine au bruit dune caravane de la Mecque, escortée par larmée coraïte qui marchait vers la Syrie. Son armée ne comptait que trois cent quatorze combattants montés sur soixante-quatorze chameaux. Deux drapeaux, lun noir et lautre blanc, étaient portés devant lui par Ah et par un habitant de Médine. Voilà larmée qui allait changer la face du monde plus profondément que les armées dun million dhommes de Xercès ou de Napoléon. Le nombre des combattants nest pas la mesure des événements, cest la cause. Un million de soldats combattant pour lambition ou pour la gloire dun conquérant succombent sans laisser dautre trace que leurs ossements sur la terre. Trois cent quatorze hommes combattant pour lidée désintéressée de lunité de Dieu contre des peuples idolâtres conquièrent pour des siècles un tiers de lunivers à leur cause. La victoire, quoi quen ait dit un souverain matérialiste de ce temps, nest pas aux gros bataillons ; la victoire est à Dieu et à celui qui combat pour lesprit de Dieu contre lesprit corrompu des hommes. La caravane et larmée de la Mecque étaient commandées par un guerrier illustre, ennemi de Mahomet, nominé Abou- Sofyàn. Instruit par ses espions de lapproche de Mahomet, Abou-Sofyàn envoya un messager à la Mecque demander des renforts. Ce messager sarrêta, monté sur son dromadaire, dans le vallon voisin des murs de la Kaaba. En signe de terreur, il coupa les oreilles de son chameau, dont le sang ruisselait sur sa tête; il tourna la selle de lanimal vers sa croupe, il déchira ses habits, et cria sept fois : «Coraïtes ! à la caravane! à la caravane ! Mahomet lenveloppe, tout va périr, hommes et marchandises ; au secours ! au secours de vos frères ! » Cette voix et ces signes de désespoir firent lever les Coraïtes en masse. Un des plus âgés ayant refusé de marcher à cause de sa corpulence: « Parfume-toi, lui dirent ses compatriotes, car tu nes quune femme ! » Il rougit du reproche et marcha. Larmée comptait cent chevaux et mille guerriers. Mahomet, campé à Béder, à quatre journées de Médine, apprit le formidable renfort attendu par Abou-Sofyàn. Le nombre ne létonna pas, mais il pouvait étonner ses soldats. Il les rassembla. « Prophète, dit Aboubekre, mène-nous où Dieu tordonnera de nous mener, nous nimiterons pas les enfants dIsraël, qui disaient à Moïse : Va, toi et ton Dieu, combattez ensemble lennemi ; quant à nous, nous restons où nous sommes. Mais nous te dirons: Va, toi et ton Dieu, nous combattrons avec vous ! - Quand tu nous mènerais au milieu des flots de la mer, lui dit le premier de ses disciples de Médine, Sad, nous y marcherions sur tes pas ! » Leur fanatisme appuya le sien.
Ses espions, envoyés au loin pour lui donner des nouvelles de lapproche de lennemi, sétant assis près dun puits entouré dun groupe de femmes, entendirent une de ces femmes qui disait à lautre : « Je te payerai ce que je te dois quand jaurai vendu quelque chose à la caravane. Elle passera par ici demain ! » Un moment après, Abou-Sofyàn, chef des Coraïtes , cherchant de son côté les indices du voisinage de larmée de Mahomet, arrive auprès du même puits «Avez-vous vu quelque étranger ? demanda-t-il aux femmes. - Oui, dirent-elles, nous avons vu deux voyageurs montés sur leurs chameaux, qui sont venus boire à cette source, et qui sont repartis.» Abou-Sofyàn pousse son cheval sur les traces des espions de Mahomet, et, reconnaissant des noyaux de dattes dans la fiente de leurs chameaux « Par la Kaaba ! dit-il, ce sont des chameaux dYathreb» il rejoint alors larmée pour la guider sur cet indice.
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