Cependant Mahomet touchait à sa quarante et unième année. Rien en lui jusque-là nindiquait à ses compatriotes lhomme investi dune mission. Mais on remarquait en lui ce que les Hébreux avaient remarqué dans leur législateur Moïse, lentretien muet avec son propre esprit dans la solitude. Il semblait fuir la foule et le bruit pour écouter mieux les voix de son propre cour. Il se retirait pendant les chaleurs de lété avec sa femme et sa famille dans une fraîche caverne du mont Hira, près de la Mecque. Il sen échappait souvent la nuit, et ségarait sur les collines et les vallons voisins de la grotte, pour contempler, prier et suivre des pensées qui conduisaient ses pas au hasard. Ses absences se prolongeaient de jour en jour davantage. Une obsession maladive semblait peser sur lui. Le temps fuyait, il navait pas commencé son oeuvre ; il éprouvait ces reproches intérieurs des hommes qui se croient une mission pénible à accomplir, et que leur conscience gourmande de leurs hésitations et de leurs ajournements. Il croyait entendre, par la force dune conviction qui égarait ses sens, des voix dêtres invisibles répandus sur la montagne, sortant du rocher et disant quand il passait : « Salut, envoyé de Dieu! » Il racontait à Kadidjé ces voix extatiques. Kadidjé, convaincue de la vertu et de la supériorité de son mari, prenait, comme lui ces voix de lextase pour des voix réelles. Sa foi, égale à sa tendresse pour son mari, écartait le doute. Elle trouvait le fils dAminà assez vertueux et assez supérieur aux autres hommes pour mériter ces célestes communications. Elle le confirmait par sa pieuse crédulité dans ses illusions. Lopinion de la divinité de sa mission commençait par le cour de sa femme.
Cependant Kadidjé paraît avoir redouté quelquefois que ces visions de lenthousiasme ne fussent dans son mari les atteintes dune maladie ou les vertiges dun mauvais esprit. On voit les traces de cette inquiétude dans la suite dune des plus longues visions qui décidèrent la prédication publique de Mahomet.
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