La Vie de Mahomet

(Alphonse de Lamartine, 1854)

Livre 1 - Chapitre 82

Mahomet, vainqueur par lui-même ou par ses lieutenants de toutes les tribus de l’Hedjàz, résolut de préparer l’avènement de son culte à la Mecque par une visite triomphale à la Kaaha. Les longues vues de sa politique religieuse éclatèrent tout entières dans ce plan. S’il n’eût voulu être que conquérant, il aurait marché à la Mecque en vainqueur, et non en pontife. Il était assez puissant alors en armes, en trésors, en soldats, en alliés dans toute l’Arabie, pour reconquérir sa patrie ou pour l’effacer de la terre. Médine, sa patrie adoptive, avait de grands titres pour devenir sa capitale. Les Coraïtes , anéantis ou dispersés, ne pouvaient pas lutter avec leur proscrit adopté par la moitié des Arabes. Mais Mahomet qui pouvait les proscrire à son tour en les exterminant, préféra traiter avec eux. Il comprit avec justesse que l’exterminateur de la Mecque, ville sainte, et le destructeur de la Kaaba, temple universel des descendants d’Abraham, pourrait être le dominateur, mais ne serait jamais le prophète des Arabes. Les idées que Mahomet méditait d’inaugurer en Arabie devait, pour être adoptées par ses compatriotes, se rattacher aux traditions. Il accepta le temple, il en chassa l’idole. Telle fut la pensée de Mahomet dans son traité avec les Coraïtes , découragés de la lutte, et dans le pèlerinage militaire et religieux qu’il résolut de conduire lui- même à Mecque. Sa suite, composée d’idolâtres alliés autant que de musulmans fidèles, était une armée et un peuple. Deux mille mahométans à cheval et armés, douze mille Arabes de Médine et du désert, une file innombrable de chameaux caparaçonnés de rameaux et de fleurs, et chargés de riches présents pour le temple, arrivèrent en vue de la ville sainte. Quelques guerriers Coraïtes , obstinés dans leur haine, étaient sortis de la ville, malgré la masse de leurs concitoyens, pour disputer les portes à Mahomet. Son chameau s’arrêta et s’agenouilla de lui-même à l’aspect des murs. Ses Arabes s’en étonnèrent: «Son chameau est donc rétif ? dirent-ils entre eux. - Non, leur dit le prophète, l’animal n’est point rétif, mais il s’est senti repoussé par la main invisible qui repoussa jadis l’éléphant du chef des Abyssins, prêt à fouler le sol de la Mecque; arrêtons-nous ici ! » Mahomet négocia de là sa libre entrée dans la ville sainte. Les négociateurs Coraïtes furent saisis de stupeur en voyant les respects que les Arabes, convertis ou idolâtres, rendaient devant eux au compatriote qu’ils avaient proscrit comme insensé et blasphémateur. On recueillait l’eau dans laquelle il avait lavé son visage et ses mains; on disputait au vent le cheveu tombé de sa tête; on emportait la poussière sur laquelle s’était imprimée la trace de ses pas. «Je suis allié à la cour d’Héraclius, empereur des Romains, de Byzance, et à la cour du grand roi de Perse dans sa capitale, disait à son retour à la Mecque le négociateur Orwa; mais je ne vis jamais de souverain vénéré de ses esclaves autant que Mohammed l’est de ses sectateurs ? » Malgré les murmures de son armée, qui ne comprenait pas son indulgence, Mahomet signa un traité presque humiliant avec les Coraïtes «ou Coréischites». « Pourquoi, lui dirent Omar, Ah, Aboubekre, ravaler notre religion triomphante par ces timides concessions aux incrédules ? Je suis le serviteur de Dieu, répondit Mahomet à ces murmures, j’obéis à ses inspirations, il ne me trompera pas !
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