La Vie de Mahomet

(Alphonse de Lamartine, 1854)

Livre 1 - Chapitre 107

Cet homme était-il un imposteur ?’ Nous ne le pensons pas, après avoir bien étudié son histoire. L’imposture est l’hypocrisie de la conviction. L’hypocrisie n’a pas la puissance de la conviction, comme le mensonge n’a jamais la puissance de la vérité. Si la force de projection est en mécanique la mesure exacte de la force d’impulsion, l’action est de même en histoire la mesure de la force d’inspiration. Une pensée qui porte si haut, si loin et si longtemps, est une pensée bien forte ; pour être si forte, il faut qu’elle ait été bien sincère et bien convaincue. L’inspiration intérieure de Mahomet fut sa seule imposture. Il y avait deux hommes en lui, l’inspiré de la raison et le visionnaire de l’extase. Les inspirations du philosophe furent aidées à son insu par les visions du malade. Ses songes, ses délires, ses évanouissements pendant lesquels son imagination traversait le ciel et conversait avec des êtres imaginaires, lui faisaient à lui-même les illusions qu’il faisait aux autres. La crédulité arabe inventa le reste. Mais sa vie, son recueillement, ses blasphèmes héroïques contre les superstitions de son pays, son audace à affronter les fureurs des idolâtres, sa constance à les supporter quinze ans à la Mecque, son acceptation du rôle de scandale public et presque de victime parmi ses compatriotes, sa fuite enfin, sa prédication incessante, ses guerres inégales, sa confiance dans le succès, sa sécurité surhumaine dans les revers, sa longanimité dans la victoire, son ambition toute d’idée, nullement d’empire, sa prière sans fin, sa conversation mystique avec Dieu, sa mort et son triomphe après le tombeau, attestent plus qu’une imposture, une conviction. Ce fut la conviction qui lui donna la puissance de restaurer un dogme. Ce dogme était double, l’unité de Dieu et l’immatérialité de Dieu ; l’un disant ce que Dieu est, l’autre disant ce qu’il n’est pas; l’un renversant avec le sabre des dieux mensongers, l’autre inaugurant avec la parole une idée Philosophe, orateur, apôtre, législateur, guerrier, conquérant d’idées, restaurateur de dogmes, d’un culte sans images, fondateur de vingt empires terrestres et d’un empire spirituel, voilà Mahomet A toutes les échelles où l’on mesure la grandeur humaine, quel homme fut grand? Il n’y a de plus grand que celui qui, en enseignant avant lui le même dogme, avait promulgué en même temps une morale plus pure, qui n’avait pas tiré l’épée pour aider la parole, seul glaive de l’esprit, qui avait donné son sang au lieu de répandre celui de ses frères, et qui avait été martyr an lieu d’être conquérant. Mais celui-là, les hommes l’ont jugé trop grand pour être mesuré à la mesure des hommes, et si sa nature humaine et sa doctrine l’ont fait prophète, même parmi les incrédules, sa vertu et son sacrifice l’ont fait Dieu !
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