La Vie de Mahomet

(Alphonse de Lamartine, 1854)

Livre 2 - Chapitre 16

Rien ne s’opposait plus à la conquête de l’Egypte. Les Romains vaincus, la Syrie subjuguée, la Judée couverte de ses troupes, lui donnaient une sécurité et une base d’opération qui permettaient aux musulmans de porter leurs armes et leur loi dans la capitale de l’Afrique. En passant à Bethléem pour se rendre à Médine par Damas, Omar pria comme à Jérusalem, dans l’église que les chrétiens avaient élevée sur la place du berceau de Jésus- Christ. Il donna au patriarche chrétien à Bethléem un ordre signé de sa main qui défendait à jamais aux musulmans de profaner ce sanctuaire, en s’en emparant pour leurs prières. À Damas, il distribua les principaux de ses généraux sous le nom d’émirs. Juste enfin envers Khaled, dont les exploits avaient racheté la faute, Omar donna à ce guerrier une de ses souverainetés voisines de Damas. L’immensité des trésors et des revenus, fruits de tant de conquêtes, obligea Omar d’organiser à Médine une administration publique de ces richesses. Des soldes et des pensions régulières furent allouées par lui à ses combattants, à ses magistrats, aux veuves et aux parents du prophète. Aïché, l’épouse bien aimée du prophète, fut traitée en reine. Quant à lui, il se contenta de la modique rétribution en orge et en dattes que Mahomet et Aboubekre avaient eux- mêmes empruntés pour leur subsistance au trésor public. «Adieu pour jamais à la Syrie ! » s’était écrié Héraclius, en retirant ses troupes derrière le Taurus et en s’enfuyant vers Constantinople. Les musulmans avaient pénétré sur ses pas usqu’au-deIà des portes de Fer, dans les vallées de la Cilicie. Un des princes de la Syrie romaine, Djabalah, avait adopté a foi des vainqueurs. Il vint à Médine apporter au khalife la oumission de ses sujets gassanides. Omar le mena avec lui, à l’époque du pèlerinage, iccomplir les rites de l’islamisme à la Mecque. Le prince assanide, vêtu d’habits de soie, coiffé d’une couronne de erles d’un prix inestimable, qui rappelaient les pendants i’oreilles de Maria, dont cette princesse avait fait présent au iemple de la Mecque au moment de sa conversion, suivi de magnifiques chevaux du Nedjed, que ses esclaves conduisaient en main, accompagné Omar dans les stations autour de la maison sainte. Un Bédouin de la tribu de Fézâra, qui marchait derrière lui, posa le pied sur le pan de son manteau, et le fit tomber de dessus ses épaules. Djabalah se retourna courroucé, donna un soufflet à cet homme, et lui mit le visage en sang. Le Fézârien réclama d’Omar satisfaction de cet outrage: «Tu l’as frappé ? demanda le khalife à Djabalah. - Oui, répondit celui-ci ; et, sans ma vénération pour la Kaaha, je lui aurais fendu la tête avec mon sabre. - Tu avoues, reprit Omar ; il faut donc que tu achètes de la partie offensée le désistement de la plainte. - Et si je ne veux pas le faire ? - Alors tu subiras la peine du talion : j’ordonnerai que ce Bédouin te frappe au visage, comme tu l’as frappé. - Mais, je suis roi, et lui n’est qu’un particulier obscur ! - Le roi et le particulier sont égaux devant la loi musulmane ; tu n’as sur lui que la supériorité de la force physique. - J’avais cru que je serais plus honoré encore dans l’islamisme que dans ma première religion. - Assez de paroles ; apaise le plaignant ou subis le talion. - Je retournerai plutôt au christianisme. - En ce cas, je te ferai trancher la tête, répliqua Omar ; c’est le sort réservé à tout croyant qui abjure - Eh bien, dit Djabalah, donne-moi au moins jusqu’à demain pour me décider.» Le khalife lui accorda la nuit pour réfléchir. Le prince gassanide, incapable de plier son orgueil à cette égalité et à cette humiliation, en profita pour s’enfuir et se réfugier avec ses richesses à Constantinople. Plus tard, dans son exil, il écrivit ces vers «Plût à Dieu que ma mère ne m’eût pas mis au monde, ou que je me fusse résigné à l’ordre d’Omar ! Plût à Dieu que je fusse simple pasteur de chameaux dans un désert de Syrie, ou esclave des enfants de Modha» ! pourvu que je vécusse parmi mes frères de l’Arabie ! ». Il mourut en négociant son pardon d’Omar, et en exprimant les regrets de sa patrie.
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