Il y avait tant de similitude, dans le commencement de la mission de Mahomet, entre la profession de foi du Coran et la profession de foi du chrétien, que les premiers sectateurs de Mahomet à la Mecque, sétant réfugiés pour fuir la persécution en Abyssinie, les Abyssiniens, déjà convertis au christianisme, reçurent les mahométans comme des demi-chrétiens. « Quest-ce que cette religion nouvelle pour laquelle vous fuyez votre patrie ? demanda aux réfugiés Coraïtes le roi dAbyssinie, en présence de ses évêques. - Nous étions plongés dans les ténèbres, répondirent les Arabes. Un homme illustre et vertueux de notre race est venu ; il nous a enseigné lunité de Dieu, le mépris des idoles, lhorreur des superstitions de nos pères ; il nous a commandé de fuir les vices, dêtre sincères dans nos paroles, fidèles à nos promesses, bienfaisants à nos frères; il nous a interdit dattenter à la pudeur des femmes, de dépouiller les veuves et les orphelins ; il a prescrit la prière, labstinence, le jeûne, laumône. - Cest comme nous, dit le roi. Pourriez vous nous répéter de mémoire quelques-unes des paroles mêmes de cet apôtre qui vous a enseigné sa religion ? - Oui,» dit le Coraïte. Et il récita un chapitre du Coran où le miracle de la naissance de Jean, fils de Zacharie, est raconté dans le style même des Ecritures. Le roi et les évêques, ravis détonnement et dédification, mouillaient leurs barbes de larmes démotion. « Voilà, dirent-ils, des paroles qui semblent couler de la même source que celles de lEvangile ! » lis demandèrent aux réfugiés Coraïtes «ou Coréischites»: «Que pensez-vous de Jésus? Djafar, fils dAboutaleh et cousin de Mahomet, répondit par ce passage du Coran « Jésus est le serviteur de Dieu, lenvoyé du Très-Haut, son Esprit, son Verbe, quil a fait descendre dans le sein de la vierge Marie ! « - Miracle ! sécrièrent le roi et ses évêques ; entre ce que tu viens de dire du Christ et ce quen dit notre religion, il ny a pas lépaisseur de ce brin dherbe de différence Allez et vivez en paix. » Il semble, en effet, que lislamisme nétait dans la première pensée de Mahomet quun commentaire arabe de lEvangile, et quil hésita longtemps sil ne se bornerait pas à se déclarer apôtre du Christ, et à prêcher la religion du moine Djerdjis et de lorfèvre de Marwa à sa nation. Mais Mahomet ne possédait pas son esprit, il en était possédé soit tension continue de son imagination vers les choses invisibles, soit hallucination extatique presque habituelle qui sétait manifestée en lui depuis son enfance, mais surtout depuis son évanouissement nocturne dans la caverne de Safa, soit épilepsie ou catalepsie intermittente, dont il paraît avoir été affecté comme César et dautres grands hommes qui avaient faussé leurs organes à force de penser, il paraît évident que Mahomet était visité par des visions et surtout par des songes. Ces songes et ces visions se rapportaient naturellement aux préoccupations de lenthousiaste éveillé, il les prenait pour des révélations dAllah à son âme. Il les recueillait à son réveil, les revêtait du style figuré de sa nation, des imitations bibliques et évangéliques dont son esprit était éclairé par ses études et par ses fréquentations avec les juifs et avec les chrétiens dans ses voyages ; il les proférait ensuite à ses disciples comme des lois directes du ciel transmises aux hommes par lécho fidèle de ses lèvres. On ne peut voir quelque trace dartifice pieux que dans la rédaction évidemment soignée, littéraire, éloquente, poétique, de ces pages du Coran ou de ces prédications écrites sur les feuilles du palmier et distribuées aux Arabes comme lexpression même des esprits révélateurs qui les lui inspiraient. Cette rédaction réfléchie de son code religieux, moral et civil, était évidemment une oeuvre de sa volonté, de sa politique, de sa méditation. Lécrivain aidait au prophète. Mais ce travail même de lécrivain au repos, après linstant de la vision ou après le réveil du songe, ne prouve pas que le poète fut sciemment un imposteur. Cela prouve seulement que pendant laccès il avait cru voir, il avait cru entendre, il avait cru à la divinité des songes, et quil employait ensuite tout son génie de législateur et de prédicateur à présenter ses révélations aux hommes dans la forme et dans le style les plus propres à les relever dans leur esprit. Les railleries, les persécutions, le mépris public et la mort quil encourait tous les jours de sa vie, pour ces visions et pour ces extases, dont quelquefois on le voit prêt à douter lui-même, attestent sa propre illusion dans lillusion quil communiquait aux Arabes. Les historiens ne sauraient trop se défier de ces incriminations dimposture que lesprit de secte et lignorance déversent de loin sur les hommes qui ont renouvelé la face de lesprit humain dans tous les siècles. Lhypocrisie nest pas une force dans lhomme, cest une faiblesse. Le masque éclate toujours par quelque côté. Les grands hypocrites sont de grands comédiens, mais ne sont pas de grands hommes. Lenthousiasme de bonne foi est le seul levier assez fort pour soulever la terre ; mais, pour que ce levier ait toute sa puissance, il faut quil ait dabord pour point dappui la foi dun esprit enthousiaste, intrépide et convaincu. Tel nous apparaît, de plus en plus, le prophète des Arabes dans les vicissitudes de sa prédication religieuse : un extatique convaincu un visionnaire de bonne foi, un enthousiaste politique, mais à qui son enthousiasme laissait toute la lucidité de son génie. Reprenons sa vie.
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